En recherchant sur le net des oeuvres artistiques reliées au chamanisme, les toiles d’Eric Bavoillot m’ont interpelée. Aussi lui ai-je demandé un entretien qu’il a aimablement accepté.
Le souffle du serpent …
« quelles dimensions selon vous donne le chamanisme à l’art contemporain ? ». D.P
Pour être tout a fait sincère, je n’en ai absolument aucune idée, votre question supposerait qu’il existe un « chamanisme » que l’on pourrait classifier et définir de la même façon qu’il existe les religions mais la vérité c’est qu’il y a autant de »chamanismes » différents que d’ethnies qui le pratiquent voire même qu’il y a d’individus qui le pratiquent et cela est fort bien car tant qu’il en sera ainsi on ne pourra pas le rationaliser et le transformer en une absurdité manipulable. Quant à l’art contemporain, même si cela semble plus facile de s’accorder sur une définition, il englobe lui aussi un nombre incroyable de chapelles dont les fidèles ont leur propre définition du vrai du juste et du beau jusqu’a l’art contemporain conceptuel qui, lui, rejette toute notion de vrai de juste et de beau.
Ceci étant posé et pour quand même essayer de vous répondre je dirais que le chamanisme quand il est pratiqué dans un sens de service aux autres travaille sur la dimension du coeur, (bienveillance, ouverture, respect d’autrui et de son libre arbitre, amour inconditionnel, joie, intuition, guérison, beauté et sentiments.)
« Une œuvre d’art n’est pas un objet inerte.
Elle est le réceptacle de la puissance créatrice de l’univers qui s’est exprimée au travers de l’artiste.
Elle est le résultat de « l’intention » !
L’intention est l’énergie dont chaque être humain dispose à des fins de création et cela dans quelque domaine que ce soit.
L’intention est la symbiose de la concentration et de la volonté liée à l’attention portée sur chaque chose. »
Les possibilités sont énormes, c’est aux artistes d’oeuvrer en conscience. » E.B.
Série: empreinte chamane
Nous allons nous attarder sur la peinture « Intrusion platonicienne en terre animiste »
Que voyons-nous ?
Des lignes courbes de couleur, des cernes épais ondulant sur la toile, des taches parfois informes évoquant des organismes naturels ou cosmiques
Des formes signalétiques parcourant l’ensemble de la toile (sens interdit, panneaux signalétiques)
Ces deux styles différents cohabitent de manière disctincte.
La mise en scène du tableau semble reprendre la composition platonicienne du mythe de la caverne. En effet, la lumière semble venir de la partie supérieure avec le soleil représenté dans des teintes orangées autour duquel tourne une planète. Dans la partie inférieure, les formes sont plus courbes évoquant les lignes des algues marines ou du corail par exemple.
Dans la partie supérieure, des lignes brisées droites font penser à des autoroutes avec leurs panneaux de signalisation.
Le monde apparaît comme coupé en deux. Le monde artificiel dans la partie supérieure contrastant avec le monde d’en bas.
Ce monde d’en bas est quand on le regarde de plus près, une représentation de la nature corrompue par l’homme malheureusement comme l’indique le verre d’eau barré mentionnant « eau non potable ».
On voit bien dans la surface jaune, une représentation schématisée d’animaux et de personnages. A droite, une vignette signalétique avec un verre d’eau barré d’une croix rouge mentionne « eau non potable ».
La partie basse serait le territoire animiste et en haut le monde platonicien.
Mais pour bien comprendre ces deux mondes il est nécessaire d’apporter quelques définitions et principes.
L’animisme, (du latin animus, originairement « esprit », puis « âme ») est la croyance en un esprit, une force vitale, animant les êtres vivants, les objets mais aussi les éléments naturels, comme les pierres ou le vent, ainsi qu’en des génies protecteurs. Il y a une communion entre l’esprit et la matière sensible.
Chez Platon, la conception est toute différente.
Le mythe de la caverne
« Dans une demeure souterraine, en forme de caverne, des hommes sont enchaînés. Ils n’ont jamais vu directement la lumière du jour, dont ils ne connaissent que le faible rayonnement qui parvient à pénétrer jusqu’à eux. Des choses et d’eux-mêmes, ils ne connaissent que les ombres projetées sur les murs de leur caverne par un feu allumé derrière eux. Des sons, ils ne connaissent que les échos. « Pourtant, ils nous ressemblent ». » Wikipedia
« Que l’un d’entre eux soit libéré de ses chaînes et accompagné de force vers la sortie, il sera d’abord cruellement ébloui par une lumière qu’il n’a pas l’habitude de supporter. Il souffrira de tous les changements. Il résistera et ne parviendra pas à percevoir ce que l’on veut lui montrer. »
Le monde d’en bas symbolise le monde sensible avec une connaissance partielle et faussée.
Le monde de la lumière symbolise le monde des Idées, de la connaissance vraie de toute chose.
Les deux mondes sont séparés et il n’y a pas de communication entre eux mis à part ce rayon de lumière qui permet de projeter les ombres sur les parois de la caverne.
Le philosophe s’échappe de la caverne grâce à l’exercice de la dialectique, « sans le support d’aucune perception des sens » (532a). À mesure que son regard s’habitue à la lumière vive du monde des Idées, il parvient « au terme de l’intelligible ».
Les deux parties de la toile d’Eric Bavoillot prennent tout leur sens. Le monde intelligible est au centre de la représentation avec des images signalétiques (univoques, reliées à un concept), des lignes tracées comme dans une carte de géographie scientifique (lignes comme modélisées par un ordinateur,
Dans la partie gauche de la toile se trouve un autre pictogramme représentant un robinet d’incendie armé (RIA)
Ce pictogramme permet à l’eau de circuler dans la partie inférieure où se trouve la vie, les organismes qui font penser à des cellules autant qu’à des planètes.
Mais en haut à droite est représentée comme une sorte de vache avec des lignes intestinales tachées de rouge. Cette partie de la toile évoque peut-être les abattoirs. Abattoirs de l’animisme ? Abattoirs de cette poésie du sensible ? Abattoirs de la vie, de l’esprit, de l’âme ?
VACHE : relie à la nourriture, à la mère. Elle nous révèle la générosité, la force nourricière et régénératrice qui nous entoure. On la retrouve partout : chez nos amis, nos enfants, dans nos repas, nos rêves et dans la nature, symbole vivant de la Terre Mère chez les hindous.
On remarquera également que les lignes brisées ne mènent nulle part avec ces feux tricolores rouge orange et bleu qui en ponctuent la fin.
L’énergie dans la composition circule de manière imposée dans le tableau. En effet, des flèches indiquant des demi-tours ou des sens giratoires empêchent l’oeil de circuler librement vers la partie inférieure de la toile.
La partie supérieure du monde « platonicien » impose un sens de lecture ponctué de panneaux de direction (ex le panneau de voie à sens unique).
En revanche dans la partie inférieure, le regard est beaucoup plus libre, circulant d’une forme à une autre sans direction imposée.
Le feu et la lumière sont représentées de quatre manières différentes dans la toile:
le soleil:
la facture de la peinture est sensible avec des nuances contrastées. Le pourtour du soleil est sinueux. Tout est énergie de peinture dans ce détail.
L’éclat lumineux, étoile: ou axes de la boussole
Deuxième représentation de la lumière dans cette partie droite du tableau. L’image est stylisée: il s’agit d’une manière de codifier la lumière par le graphisme. Il n’y a pas de matière picturale. Mais s’agit-il de cela ?
Il s’agit de la représentation des axes de la boussole autour de laquelle se composent les quatre accords toltèques.
ACCORD 1 : QUE VOTRE PAROLE SOIT IMPECCABLE
ACCORD 2 : QUOI QU’IL ARRIVE, N’EN FAITES PAS UNE AFFAIRE PERSONNELLE
ACCORD 3 : NE FAITES PAS DE SUPPOSITIONS
ACCORD 4 : FAITES TOUJOURS DE VOTRE MIEUX
La boussole ressemble à une étoile celles qui guident les marins dans leurs voyages. C’est une lumière spirituelle qui guide le voyageur dans les chemins de la conscience. Le Nord pointe vers le bas. Devons-nous faire pivoter la toile pour la voir dans le bon sens ?
« En ce qui concerne la position de la rose des vents ceci n’étant pas un acte déterminé, peut-être faut-il aller chercher du côté de la part inconsciente du vécu de l’artiste dans sa création. » E.B
Il précise qu’à ce moment là de sa vie, il a été attiré par le Sud où il a déménagé en 2010. « Peut-être aujourd’hui mettrais-je cette rose dans le bon sens, qui sait ? »
Le robinet à incendie armé:
Il s’agit d’un pictogramme.
Le feu signalétique:
Les trois feux sont bien présents mais à la place du vert il y a du bleu. Ces feux signalétiques qui ordonnent de passer ou de s’arrêter dans le code de la route sont des ordres invitant à l’arrêt ou au mouvement s’adressant à la masse. Tout le monde doit s’y soumettre. Il est intéressant de remarquer que ces feux tricolores s’opposent au soleil représenté dans l’autre partie du tableau.
L’artiste nous montre dans cette progression comment une image sensible devient une idée avec le pictogramme. Il part d’une représentation sensible du soleil pour arriver à une image schématique où la peinture ne s’exprime plus.
A la lumière de cette interprétation, on voit les lignes brisées lacérant la toile comme de grandes cicatrices. Le monde platonicien des idées serait comme une sorte de carcan modélisant la terre selon une géométrie implacable et insensible, sans matière, sans détails, sans vie.
La composition générale du tableau reprend les courbes et ondulations de cet intestin animal. Il y a comme une communion entre l’infiniment petit et l’infiniment grand organisé à la manière d’un ventre animal ou humain. Les tripes seraient l’esprit de l’univers.
T-R-I-P-E-S = E-S-P-R-I-T = P-E-T-R-I-S
Mais quand on regarde de près la forme de l’intestin et celui du RIA on remarque une certaine analogie.
En effet, la forme évolue sur elle-même. Elle suit une progression soit verticale dans la forme intestinale soit une spirale dans le RIA.
Le pictogramme du robinet à incendie armé serait une représentation idéalisée soit de l’intestin soit du cerveau humain.
Quel serait alors le message d’Eric Bavoillot dans cette toile ?
Le mythe de la caverne platonicien décrit une lumière vive qui projette les ombres. Il s’agirait en fait d’un feu à l’origine de la perte de la poésie de la nature et du sensible. Ce feu qui consume l’humanité conduirait aux abattoirs et à la défiguration de notre planète. (lignes brisées artificielles, sans couleur et sans vie).
Dans cette toile, l’artiste met en scène deux points de vue philosophiques qui se confrontent. Cette mise en scène relate l’histoire du monde des idées et du sensible selon une poésie à la fois spirituelle et picturale.
« La mise en scène est l’art de placer l’action et les personnages.
Elle comprend la distribution des figures, le choix des attitudes, l’arrangement des textures, la convenance des décors, les paysages, les diverses expressions des mouvements du corps et des chuchotements de l’âme.Dans ces jeux de compositions, théâtre d’ombre et de lumière, le drame s’impose comme ma forme de prédilection, il joue sur l’opposition du sérieux et du comique, du sublime et du grotesque, de la destinée individuelle et de l’histoire. » E.B
Dans cette oeuvre, il s’agit d’une mise en scène de signes, de traces, de lignes, de pictogrammes à la fois tragiques, drôles (la comparaison entre le RIA et l’intestin !) et poétiques relatant l’aventure de la pensée humaine dont on voit combien la vision platonicienne a eu des conséquences sur la conception moderne du monde. Pourtant, Eric Bavoillot les organise de manière subtile dans sa toile cosmique.
« Mes dernières compositions s’apparentent à des sortes de contes surréalistes et chamaniques, peuplés d’animaux totémiques d’entités cosmiques et autres êtres imaginaires.
Ces créations sont une invitation à nous reconnecter à la nature et aux puissances invisibles qui la composent.
Elles concrétisent mon rêve d’une humanité réconciliée avec la totalité des expressions du vivant. » E.B.
En regardant cette toile, on a l’impression de lire un croquis d’un chorégraphe avec des pas de danse.
Kitsou Dubois – Croquis préparatoires
« Ces dessins signalent une posture, un mouvement, un placement dans l’espace, un geste, une idée…
A propos des Blanches Belargaises, Eric Bavoillot écrit:
« Qu’elles incarnent le viscère ou le cérébral, l’animal, ou la terre-mère. c’est d’une danse de la vie, d’une fusion organique, orgasmique, végétale, tribale, radieuse et ineffable dont il est question. »
La danse s’écrit et se schématise pour exprimer et communiquer des pensées dansantes. » ici
La peinture dans cette oeuvre s’écrit et se schématise pour exprimer et communiquer des pensées picturales et humaines comme une sorte de transe. Danse des idées, danse de la nature, danse de l’humanité.
Il existe donc différents niveaux de lecture de cette toile se présentant comme une représentation plastique, iconique et chamanique du monde. Le deuxième niveau de lecture serait plastique et nous avons vu la richesse de la réflexion de l’artiste sur l’image. Dans cet article nous échappe la lecture chamanique de cette oeuvre dont on imagine la complexe et secrète structure.
Mais encore …
Dans ce ballet de formes serpentines, se dégage la présence d’un serpent.
Et il semble sortir de son corps un oeuf de teinte bleutée.
Photographie de ponte de serpent :
Le serpent dans le chamanisme symbolise l’énergie primale et la force de vie.
Le souffle du serpent semble irradier la toile. Le RIA, lu à l’envers donne le mot AIR. Les flèches triangulaires semblent sortir de la gueule du reptile. Et le RIA enroulé ressemble lui aussi à un serpent …
Pour ma part, après être entrée au creux des toiles d’Eric Bavoillot, ayant du mal à m’en défaire, je me suis sentie reconnectée avec la poésie du visible et du sensible, avec un surgissement de questions à la fois plastiques, poétiques, existentielles et spirituelles.
Que voyons-nous avec al toile propulsée à l’envers ? (ceci est de l’ordre de la fantaisie interprétative …)
Pour ma part, je vois un paysage avec des pylones à haute tension (barres blanches) et des câbles électriques bleu orange et rouge…
Le chamanisme dans l’art:
https://perezartsplastiques.com/2017/01/31/le-chamanisme-dans-lart/
