La crucifixion dans l’art occidental est un thème récurrent dans l’histoire car elle relate l’exécution particulièrement cruelle et injuste d’un homme pour ses idées religieuses. Cette cruauté et cette injustice sont au coeur des représentations. Comment émouvoir le peuple avec cela ? Comment émouvoir les hommes au sujet de la violence inouïe régnant parmi eux?
La Crucifixion désigne le crucifiement de Jésus de Nazareth, considéré par les chrétiens comme le Christ. Selon les textes néotestamentaires, Jésus-Christ fut condamné à mort par le préfet romain Ponce Pilate, à l’instigation des autorités juives, et exécuté par le supplice de la croix.
C’est avec l’art byzantin que fleurissent les représentations du Christ en croix. Les représentations sont codifiées jusque dans les moindres détails.
On remarque que la tête du Christ est toujours tournée vers la droite. C’est la posture du Christ patiens ou résigné typique de cette époque. Le Christ est mort et c’est cet état que les byzantins offrent à leur fidèles.
Le Christ triomphant est une autre version de la représentation de la Crucifixion. IL est intéressant de remarquer que sur le titulus panneau où était inscrit en hébreu, en grec et en latin » Jésus de Nazareth, roi des Juifs » figure des saints.

Dans la Crucifixion de Cimabue, toujours fidèle aux codes de la représentation byzantine, le corps est particulièrement expressif comme tordu de douleur. Les côtes apparaissent à fleur de peau. La grisaille accentue l’aspect décharné du Christ. Mais le personnage est humanisé: la tête est représentée baissée sur l’épaule, les yeux clos soit absents,on voit des marques de douleur sur le visage, la bouche est incurvée vers le bas, les plaies sont saignantes (mains, pieds et flanc droit), le corps tordu déhanché, arqué dans un spasme de douleur, subissant la lourdeur de son poids terrestre.
Masaccio représente la scène avec un mouvement de la Vierge remarquable, épousant celui du Christ. Le modelé des corps est plus naturaliste avec un rendu des volumes bien plus marqué.
Avec Fra Angelico, la mise en scène du supplice est plus spectaculaire. La Vierge est évanouie et les personnages assistent à la scène. Le portrait du Christ est plus réaliste moins schématisé que dans l’art byzantin. Le raccourci sur la tête du jeune homme sur la droite est remarquable pour l’époque.
Dans une autre représentation avec Saint Dominique, Fra Angelico focalise l’attention des fidèles sur le corps du Christ. La scène est épurée presque minimaliste.
Andrea del Castagno, 1440, représente une scène avec un nouveau rendu des lumières et des ombres. Les plis des étoffes sont rendus avec davantage de précision et le corps du Christ est plus anatomique. Mais il reste encore l’empreinte byzantine avec les flancs typiquement schématisés comme dans les Crucifix ci-dessus.
A la Renaissance, la Crucifixion prend une autre tournure. Bellini représente un corps plus réaliste avec un décor urbain dans l’arrière-plan. La lumière vient frapper les flancs du Christ représentés cette fois avec un réalisme évident. Le but de la peinture est de permettre aux fidèles de s’identifier avec le personnage.
Dans une autre version, Bellini accentue la mise en scène avec cette Crucifixion ayant lieu au milieu de la foule.
Dans les pays du Nord, Hugo Van der Goes s’attarde plus au côté dramatique de la scène, souillant la peinture avec des gouttes rouges de sang venant émailler le tableau.
Le corps blanc du Christ contraste avec le fond sombre, contraste qui sera repris par la suite par Rembrandt de manière magistrale.
Rogier Van der Weyden, 1460, représente une Crucifixion remarquable pour ses teintes: rouge, blanc et couleur chair. Ce minimalisme dans les rendus de la couleur permet de renforcer le côté tragique de la scène: le rouge étant la couleur de la Passion, le blanc de la pureté.
Cette représentation a un côté presque « photographique » pour l’époque. Les deux personnages Marie et Saint Jean sont comme surpris sur le vif. La posture de Saint Jean est remarquable: comme saisie dans l’instantanéité.
Gerard David dans la sienne situe la scène dans un paysage avec un rendu de l’horizon très abouti.
Revenons en Italie avec le Pérugin et sa Crucifixion édulcorée. Les courbes des tissus épousent le corps du Christ représenté gracieux sous les traits d’un beau jeune homme dont le corps ne semble pas être souffrant ni torturé par les clous. Il est comme en lévitation sur la croix.
avec Benvenuto di Giovanni, 1491, où le raccourci d’un cheval est saisissant. A la Renaissance, la scène devient le prétexte de montrer des prouesses techniques.
Mathias Grünenwald en 1512 peint une crucifixion où toute la surface du corps du Christ est envahie de coupures et de lésions. La scène est effroyable et montre avec insistance le supplice subi par le Christ.
Au XVIIème siècle, les représentations changent avec l’accent mis sur la souffrance du Christ avec la lumière.
Rubens en 1618 peint une scène dépouillée de tout décor avec seules les ombres et la lumière encadrant le Christ. Le visage de ce dernier est celui d’un jeune homme à la beauté émouvante. Tout est mis en scène pour émouvoir le fidèle.
Van Dick en 1622 rend magistralement la scène avec une mise en scène de la lumière spectaculaire. Le sans contraste violemment avec le linge blanc. On remarquera que la tête du Christ est tournée vers la gauche. Fait nouveau
Zurbaran en 1627 reprend la mise en scène de la lumière inondant le Christ. Le personnage est totalement isolé sur un fond de ténèbres.
En 1631, Rembrandt réalise la sienne avec la même verve du clair-obscur.
Vouet peint une remarquable crucifixion où la posture des corps allongés de Marie et des autres personnages contrastent avec la verticalité du corps du Christ. Il y a comme un dialogue entre les personnages, le Christ regardant vers le bas de la scène et avec la jeune femme comme saisie de stupeur le regardant.
Au XVIIIème siècle, Tiepolo 1745-50 change d’angle pour représenter la scène en montrant le Christ légèrement de biais. Le bras gauche tendu du Christ est ce qu’on remarque de manière évidente. L’étirement du membre atteint son paroxysme. On retrouve le même raccourci sur le cheval.
Goya en 1780 montre un Christ davantage résistant à la douleur annonçant ainsi sa résurrection.
En 1782, Jacques Louis David propose une nouvelle Crucifixion. L’artiste a recours aux mêmes effets de contrastes d’ombres et de lumière.
Au XIXème siècle William Blake représente une nouvelle version en monochrome.
Pierre-Paul Prud’hon rend l’épisode avec Marie Madeleine venant essuyer les pieds du Christ. Il reprend des caractéristiques des peintres du Nord avec la lumière et l’ombre.
Gauguin quant à lui va faire triompher le jaune dans sa toile. Le Christ est stylisé et situé dans la campagne. Le jaune est la couleur qui réunit le Christ avec la nature.
En 1913, l’expressionniste Max Ernst torture le corps du Christ pour montrer le supplice. Toute la toile est crucifiée sous son pinceau.
En 1930, PIcasso remet une Crucifixion torturée où on distingue à peine la Croix avec le Christ.
Au printemps 1931, Marc Chagall visite la Terre Sainte dans le but de trouver l’inspiration pour son nouveau projet. Il peint cette crucifixion avec un ton à la fois poétique et dramatique. Des scènes d’horreur encadrent le Christ. « Scènes de pillage, pleurs mêlés de désillusions, fuite et exil, cette toile témoigne des désappointements de Chagall devant les événements politiques qui grandissent sourdement puis de plus en plus fort autour de lui. » Soriano
Niki de Saint Phalle en 1963 propose une Crucifixion où une femme est suppliciée. Le visage de la jeune femme est triste et déprimé. Elle n’a pas de bras. La femme objet de désir semble être ici au coeur de la représentation.
Francis Bacon représente des courbes et lignes presque abstraites. On dirait un animal dans un abattoir pendu à des crochets.
Enfin, Sir Stanley Spencer montre la scène d’un point de vue inédit: vue de dos.
Dali dans la sienne montre un corps en lévitation, décollé de la Croix avec des cubes rappelant les clous.
Dinah Roe Kendall montre l’envers de la scène avec les visages teintés d’effroi des spectateurs bleutés.
Renato GUTTUSO représente une Crucifixion avec la présence d’un nu. Celle-ci blasphématoire serait celle de Marie Madeleine. Le cheval gris fait référence à la jument dans Guernica de Picasso. L’angle de vue est inhabituel : le spectateur n’a pas, comme dans la plupart des Calvaires, l’impression d’être au pied de la croix, dans la situation des personnages représentés autour : il est surélevé, au même niveau que les visages des victimes, et donc surplombe légèrement l’ensemble.
Damian Hirst montre un animal écorché et crucifié comme pour dénoncer les violences animales. L’oeuvre est limitée dans le temps car le corps de la bête dans le formol va quand même pourrir.
Banksy représente un Christ avec des paquets de grande surface dans chaque main. Cette représentation dénonce le système de notre société de consommation.
Bill Viola représente les martyrs de l’eau de la terre de l’air et de l’eau. « L’art est là pour exprimer les sentiments. Il doit reproduire, chaque fois à sa manière, les grandes histoires de l’homme, les grandes expériences que l’humanité a connue, génération après génération. Chaque génération d’artistes doit repenser et refaire ces histoires et idées de l’humanité pour pouvoir mieux refléter le monde contemporain » Bill Viola
Adel Abdessemed sculpte quatre crucifix en fil de fer barbelé installé à côté du retable d’Issenheim à Colmar.
Les Christ métalliques sont accrochés au mur sans leur croix. Il sont de la taille de l’artiste algérien vivant à Paris âgé de 41 ans. C’est peut-être l’histoire du peuple algérien qui est mise à nu dans cette oeuvre. La couronne d’épines matérialisée par le fil de fer barbelé est le matériau de ses sculptures. « Ce matériau, le même que celui utilisé dans le camp de Guantanamo ou par la défense militaire des frontières, est l’essence même de la cruauté et de l’oppression », analyse Mme Goerig-Hergott.
Doug Blanchard représente un Christ homosexuel en croix pour dénoncer l’homophobie. Cette peinture The Passion of Christ : A Gay Vision a fait scandale aux Etats Unis. Elle ne relate que les conditions difficiles où vivent les homosexuels encore victimes de préjugés et de violence dans le monde.
Une « Rustifiction » humoristique de Corentin Harlé faite avec des circuits imprimés.
Immersion (Piss Christ)1, plus souvent désignée par le titre abrégé Piss Christ, est une photographie de l’artiste américain Andres Serrano, réalisée en 1987. Pour réaliser sa photographie, l’artiste dit avoir rempli un verre de son urine et de son sang, puis y avoir immergé un petit crucifix en plastique.
Igor Mitoraj réalise une sculpture d’un homme avec une croix évidée dans son corps. Le corps devient croix et la croix devient corps.
Bettina Reims propose un triptyque où l’on voit un homme et une femme crucifiés (les deux larrons ?). Au centre une croix avec des traces de sang au niveau des clous. « L’humanité (homme et femme) rassemblée et crucifiée ? Trois figures du Christ ? Choquant ? Il existe toute une tradition picturale de donner au Christ une figure féminine, depuis le « Noli Me Tangere » du Titien ou « l’Ecce Homo » de Corrège. La force de cette œuvre est telle que Bettina Rheims l’a accrochée dans son propre bureau ! » ici
Clet Abraham détourne les panneaux de signalisation pour en faire des crucifix modernes.
Même le street art s’y met avec des installations inattendues.
En mai 2015, une oeuvre d’art a été exposée en Lettonie montrant Poutine crucifié. Les passants furent invités à planter des clous dans le personnage à la manière des traditions vaudous.
Le supplice par la croix a été très pratiqué par les romains. Les suppliciés étaient torturés et la croix était l’objet de bien des railleries. Avec le supplice du Christ, la croix devient le symbole de la foi. Les artistes contemporains se sont à nouveau emparés du thème pour donner une nouvelle dimension à cette représentation religieuse: elle peut devenir un moyen pour dénoncer des pratiques inhumaines, carrément politique comme dans l’oeuvre de l’artiste algérien Adel Abdessemed, une critique acérée de notre société de consommation avec les oeuvres de Banksy. L’art contemporain a permis à ce thème de devenir universel et parfois comme étant un acte de résistance comme c’est le cas en Lettonie.
La crucifixion est encore un supplice mortel infligé aux opposants dans les pays comme l’Irak et au Levant.
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