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Analyse de pratique:

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Analyse de pratique:
Les consignes en arts plastiques.
Tout d’abord interrogeons-nous sur le sens du mot consigne, son étymologie car bien souvent on a l’impression de savoir ce que cela veut dire mais de manière un peu trop approximative.
1.Etymologie du mot consigne:
Il est intéressant de remarquer que dans son histoire le mot consigne a une origine dans l’armée:
« Ordre, instruction que l’on donne à une sentinelle, à un soldat. » On peut relever que dans ce cas d’un ordre donné il ne peut y avoir d’approximation dans celui-ci. Sinon nous perdrions toutes les batailles !
Cette rédaction non équivoque de la consigne est primordiale dans les arts plastiques car en fonction de ce que la consigne précise déclinent les productions plastiques. La consigne est de nature injonctive: l’élève doit savoir ce qu’il doit faire. Mais n’est-ce pas une contradiction en arts plastiques de proposer une consigne ouverte ?
Ainsi si vous dites : « représentez une araignée » et « dessinez une araignée » n’est pas la même chose. Les deux objectifs sont distincts: dans la première c’est la représentation englobant le dessin, la peinture, le collage, etc tandis que dans la seconde c’est le dessin qui est au coeur de la réflexion à mener avec les élèves.
En poursuivant l’examen de l’étymologie de ce mot on apprend qu’en 1345 : « délimiter (une terre) par une borne » est une acception de ce terme. Ce qui est particulièrement observable dans cette signification c’est la notion de délimitation faite d’une terre. C’est cette difficulté qui est au coeur des consignes ouvertes en arts plastiques: comment délimiter un champ d’investigations ?
Consignes but:
: Elles fixent l’horizon d’un travail.
Consignes procédures:
Il s’agit davantage du cheminement pour parvenir
au résultat, comme par exemple : « Entourer les pronoms dans le texte »
Consignes de guidage:
Elles attirent l’attention sur un fait particulier comme par exemple : « observer », « regardez attentivement »,« veillez à ne pas confondre »
Consignes critères :
Elles explicitent les critères d’évaluation, les critères de réussite comme par exemple :« Utiliser les connecteurs logiques vus en classe »
Consigne à problèmes:
C’est la forme qui nous intéresse en arts plastiques. Elles posent un terrain d’investigations, des pistes de recherches variées.
Les consignes peuvent prendre des formes très diverses dans l’aspect le plus formel comme dans le sens qu’elles véhiculent ; elles peuvent être :
-Implicites
-Explicites
-Positives
-Négatives
-Multiples
-Successives
-Ouvertes
-Fermées
-Implicantes (avec l’aide de la deuxième personne du
singulier)
-Impersonnelles (utilisant juste l’infinitif)
Par exemple la relation de maître élève sera également déterminée par la formulation de la consigne. Si on dit « Entoure », l’impact n’est pas le même que si on dit « entourer ».
C’est ce qui est le plus délicat à faire. Par exemple « Réalisez, créez ce cocon imaginaire pour que je puisse le voir et le tenir dans la main !Avant de vous lancer dans la fabrication de ce cocon, il faudra passer par un dessin au crayon à papier uniquement. » Cette consigne est fermée car il n’y a pas de véritable enjeu plastique et elle est floue. Faut-il réaliser au préalable un dessin puis ensuite fabriquer ce qu’on a dessiné. Pourquoi tenir dans la main ? Dans quel but ? Quelle est l’objet de la recherche dans cette consigne ? Quel est son objectif ?
Pour délimiter un champ d’investigations en arts plastiques, il est nécessaire de se rapporter aux programmes avec ses entrées ou alors de partir d’une notion ou d’un constituant plastique par exemple. Il est possible de partir d’une oeuvre d’art aussi qui pose des question plastiques. Par exemple, dans la Liberté guidant le peuple, on peut se poser la question de la mise en scène d’une idée forte par exemple la liberté. La mise en scène peut être faite selon plusieurs paramètres: la composition, la lumière, le mouvement, la couleur, la perspective, la représentation de l’espace et cela avec la possibilité de le faire avec différents moyens plastiques: peinture, dessin, photo, film etc.
Donc quand on a saisi le problème ouvert « la mise en scène », il suffit de trouver une idée commune sur laquelle les élèves devront s’appuyer. Si on propose « A vous de mettre en scène la liberté » est trop abstrait pour des élèves à l’école. Il faut s’adapter à leur développement. Par exemple, on pourra proposer de « mettre en scène une super-pomme héroïque ! », « mettre en scène la plus triste des natures mortes » etc.
CONSIGNE :
Il s’agit pour l’enseignant de donner aux élèves les indications qui leur permettront d’effectuer dans les meilleures conditions le travail qui leur est demandé : objectif de la tâche, moyens à utiliser, organisation (en particulier temps imparti), etc. Les critères d’évaluation doivent également être clarifiés dès le départ.
Il faut s’assurer que la consigne a bien été d’abord entendue et vue par les élèves. On peut par exemple écrire les mots clé au tableau avec les élèves. Une mauvaise consigne ne sera pas comprise des élèves. En arts plastiques, ils ne sauront pas vers quoi aller ou alors exécuteront une suite de tâches dépourvues de sens pour lui. « … pour le tout-petit, le sens des énoncés se confond souvent avec ce qu’il perçoit… », la compréhension d’un énoncé est une chose très difficile à cet âge.
« Aujourd’hui comme c’est Halloween, nous allons tous fabriquer une toile d’araignée ! Vous les ramènerez chez vous et vous pourrez accrocher sur votre porte pour faire peur à vos voisins. J’ai donc préparé des assiettes en carton dans lesquelles j’ai fait des petits trous. Regardez bien comment je fais ! Je prends le bout de mon fil, je le passe dans un trou, je retourne l’assiette et je tire. Je prends le bout de mon fil, je le passe dans un trou, je retourne l’assiette et je tire. Je prends le bout de mon fil, je le passe dans un trou, je retourne l’assiette et je tire. Je prends le bout de mon fil, je le passe dans un trou, je retourne l’assiette et je tire. Vous voyez, il y a pleins de traits qui apparaissent ! C’est à vous ! »
Cette consigne est bien trop longue et ne met pas en jeu une réflexion plastique. Elle ne pose pas de problèmes aux élèves qui effectueront tous la même chose. Ces élèves de maternelle vont-ils se souvenir de tous ces gestes ? Quelles références artistiques l’enseignant va-t-il proposer aux élèves ?
« Réalisez le dessin d’une eau délicieuse, savoureuse. » Dans cette consigne un problème apparaît: la question du savoureux, la notion de délice. Comment montrer quelque chose de séduisant ? Mais on peut se demander pourquoi délimiter la recherche au dessin et pas aux autres techniques par exemple. Mais dans cette consigne, l’objectif en découle « la représentation d’une sensation ».
Il faut privilégier les consignes courtes avec un problème bien posé pour permettre aux élèves de se concentrer sur le problème. Les consignes à rallonge diluent la difficulté dans un flot de paroles souvent bien inutiles ..
L’impact d’une consigne:
SI une consigne est bien posée, il est possible de la retrouver en regardant les travaux. Elle agit comme un signe, un signal fort en direction des élèves.
On remarque que les élèves ont tous fait un carré avec des matériaux légers. La consigne en découle : « Le plus léger des carrés » ou alors « faites voir le plus léger des carrés » ou bien « réalisez le plus léger des carrés ». La difficulté ne portera pas sur le carré, sauf pour celui qui a rendu un cube en coton !. Voici un exemple d’une consigne qui pourrait être projetée au tableau
L’élève sait à la lecture d’une consigne sur quoi portera l’évaluation: plus haut la légèreté ou le délicieux. Ainsi de l’objectif à l’évaluation, la consigne est le pivot déclencheur. C’est par elle qu’est validé le dispositif d’enseignement. La consigne doit contenir en elle à la fois l’objectif mais aussi les critères d’évaluation.
Il est évident qu’une consigne bien posée va déterminer le travail des élèves mais aussi leurs apprentissages. Si une consigne en arts plastiques est bien rédigée et présentée aux élèves ceux-ci travailleront dans la sérénité. Une consigne trop longue ou trop fermée ne déclenchera pas le même comportement chez les élèves.
Les difficultés que l’élève peut rencontrer et que l’on peut relier à la consigne scolaire sont de diverses natures :
-L’élève ne comprend pas les mots utilisés.
-L’élève ne comprend pas la formulation de phrase.
-L’élève n’entend pas (pour des raisons physiologiques ou parce qu’il n’écoute pas). L’enseignant a le devoir de signaler les élèves dans ce cas au médecin scolaire.
-L’élève n’est pas attentif au moment où le maître donne la consigne et ne perçoit pas la totalité du message. D’où l’intérêt de veiller à ce que les élèves voient et écoutent bien dans le calme et la sérénité.
-L’élève écoute attentivement mais a besoin d’autres supports que la voix pour comprendre ce qu’on lui explique. Il y a des visuels et des auditifs.
-L’élève a du mal à comprendre le vocabulaire spécifique des consignes (même s’il parle et comprend bien d’habitude).
-L’élève a besoin de voir ce qu’il aura à faire. (à éviter en arts plastiques: les mises en commun sont là pour permettre aux élèves de reprendre leurs travaux)
-L’élève a besoin d’aide pour comprendre mieux la consigne. (si elle est formulée avec des mots simples et une tournure de phrase simple il n’y aura pas de problèmes)
-L’élève ne perçoit pas le sens de son travail à faire: en arts plastiques ce point est crucial.
-L’élève ne comprend pas la consigne.
-L’élève a besoin de faire ou voir faire l’exercice avant de pouvoir faire tout seul. En arts plastiques, le moment de regroupement des travaux permettra à ces élèves de réaliser leur travail.
Les élèves qui n’auront pas compris la consigne auront des réactions diverses:
-bavardages
-agitation
-gribouillages divers
-déplacement dans la classe
-fera du bruit, se fera remarquer d’une façon ou d’une autre
-statisme: l’élève est désemparé.
-répond n’importe quoi par peur de ne rien rendre
« Cherchez le plus possible de représentations d’une paire de lunettes ». Les élèves sont face à un problème ouvert: la question de la diversité des représentations. Il expérimentera les diverses techniques, l’utilisation des matériaux et même le numérique. C’est une sorte de défi qui est posé aux élèves. La question est de savoir pour l’élève le nombre de diverses représentations qu’il doit chercher. L’enseignant ne devra se fier au nombre mais à la variété trouvée. Il serait bon de préciser le nombre attendu pour que la consigne soit la même pour tous. « Cherchez au moins 4 représentations différentes d’une paire de lunettes » semble être plus juste.
Une consigne juste pour les élèves validera son évaluation.
La consigne est le miroir de l’enseignant. Elles peuvent être formulées de manière injonctive ou plus souple. Sa rédaction donne des indications sur le climat qui va régner dans la classe. Elle détermine la relation maître-élève bien plus qu’il n’y paraît. Une consigne juste favorisera le climat de confiance non seulement entre le maître et les élèves mais entre eux également.
Pour aller plus loin:
http://docplayer.fr/1676956-La-consigne-scolaire.html
Dans les instructions officielles une liste de notions a été publiée comprenant:
la forme,
la lumière
l’espace
la matière
la couleur
le corps
l’outil
le support
et a disparu la notion:
le mouvement.
Le contraste par exemple est un constituant plastique et renvoie à plusieurs notions: la lumière, la couleur mais aussi la matière et d’autres encore.
Un constituant plastique : qui, avec d’autres éléments essentiels, entre effectivement dans la constitution d’un tout, d’une chose complexe, qui fait partie intégrante d’un tout. « qui entre dans la composition de » nous révèle l’étymologie du verbe constituer.
Une notion: Connaissance immédiate, intuitive de quelque chose. Connaissance d’ensemble, élémentaire, acquise de quelque chose. Idée générale et abstraite en tant qu’elle implique les caractères essentiels de l’objet. L’étymologie de ce terme nous guide: « 1570 «connaissance» (La Cité de Dieu, trad. G. Hervet, I, 229a, éd. 1578 d’apr. Vaganay ds Rom. Forsch. t.32, p.112); 2. 1647 philos. (Descartes, Méditation troisième ds OEuvres philos., éd. F. Alquié, t.2, p.445: notion de l’infini). Empr. au lat. notio (dér. de notum, supin de noscere «apprendre à connaître, connaître») «acte de prendre connaissance, examen (au sens gén. et techn. du droit)» et dans la lang. philos. «idée que se fait l’esprit, conception de l’esprit, signification d’un mot». » CNRTL .
Le corps par exemple et la matière sont des connaissances d’ensemble, élémentaires de l’objet.
En revanche est-ce le cas pour le mouvement ?
Le mouvement:
Un mouvement, dans le domaine de la mécanique (physique), est le déplacement d’un corps par rapport à un point fixe de l’espace et à un moment déterminé. Nous voyons bien que l’espace et le temps sont les deux notions génératrices du mouvement. Le mouvement serait il alors un constituant plastique et non une notion ?
D’un point de vue philosophique Kant disait que les deux formes pures sont l’espace et le temps.
Si nous avions le temps et l’espace comme notions plastiques à la place du mouvement, quelles incidences cela impliquerait dans le champ des arts plastiques ?
Le temps :
Les oeuvres d’arts s’inscrivent-elles dans le temps ? Une peinture par exemple qui se déploie dans l’espace plan, a-t-elle une dimension temporelle ?
Examinons deux oeuvres d’art: L’Annonciation d’Antonello da Messina et le Jardin des délices de Jérôme Bosch:
Les deux peintures ne se déroulent pas dans la même temporalité. La peinture de Messina est plus instantanée dans le champ du visible que celle de Jérôme Bosch qui demande un examen plus long dans la durée pour appréhender ce qui est représenté. Nous voyons donc bien que le temps est une dimension consubstantielle à la peinture qui, à priori, en est privée.
Le même parallèle peut être fait avec Carré noir sur fond blanc de Malevitch et un Détail de Opalka.
Dans la peinture de Malevitch, l’immédiateté est présente jusque dans ses modalités d’exposition. L’oeuvre frappe l’oeil comme un signal visuel fort. Elle est instantanée jusque dans son angle d’exposition.
Les Détails d’Opalka sont inscrits dans la durée car ils expriment ce fragment dans le temps égréné par les nombres.
Pour aller encore plus loin dans cette réflexion, un bâtiment architectural se déploie aussi dans le temps : il ne peut être appréhendé sans une déambulation du spectateur qui s’étend dans la durée. Un mobile de Calder, regardé non pas en fonction du mouvement mais de l’espace et du temps prend une autre dimension: c’est un véritable sablier que l’artiste nous propose, une sculpture épousant le temps et l’espace.
Le temps dans la bande dessinée n’est pas le même que dans une photographie de presse qui doit être lue et vue dans l’instant. La publicité également.
Cette publicité est instantanément compréhensible: les fourmis évitent la sucette car elle n’a pas de sucre !
La temporalité de la couleur par exemple:
Les deux couleurs n’ont pas la même temporalité: l’examen du jaune est plus « rapide » que cette couleur sombre à première vue indéfinissable. Est-ce un marron, un noir, un rouge ? Comment la qualifier avec des mots ?
Ainsi un tableau de Mondrian est plus immédiat qu’une peinture de Kandinsky.
C’est pour ces mêmes raisons que les images signalétiques préfèrent le rouge, le bleu, le vert et le jaune pour mieux impacter la vue.
Conclusion:
La peinture ne se déroule pas seulement dans l’espace mais aussi dans le temps. C’est bien cette temporalité qui est au coeur de cette forme artistique mais aussi la sculpture et autres domaines. On pourrait aussi se poser la question si la musique, art du temps par excellence, ne serait pas également en quête d’espace. Une formation symphonique, un opéra n’a pas la même spatialité qu’un récital intimiste. C’est donc une vision un peu réductrice qui nous fait évacuer le temps des notions plastiques. Et nous aurions tout à gagner en inscrivant le temps parmi ces notions ce qui nous ferait percevoir les oeuvres autrement. Avec ces notions, le mouvement serait aussi intelligible à travers le temps et l’espace.
Kant avait bien raison !
L’espace n’est pas un concept empirique, qui nous est apporté par l’expérience. C’est au contraire une des formes a priori de notre sensibilité, grâce à laquelle une expérience est possible. L’espace n’est pas un concept pur, mais une forme de l’intuition pure, car il est infini, tandis qu’on ne peut imaginer un concept qui contiendrait en lui une foule infinie de représentations.
C’est selon le même procédé que Kant montre que le temps est une forme pure de l’intuition sensible
. En effet, on ne peut, à l’égard des phénomènes en général, supprimer le temps lui-même, bien que l’on puisse tout à fait bien soustraire du temps les phénomènes
.
Ainsi la théorie de la relativité généralisée serait la fusion des notions: matière-énergie-espace-temps !
L’énergie ainsi pourrait-elle être une notion dans le champ de notre discipline ?
Ouverture sur l’énergie:
“La seule réalisation impérissable du travail et de l’énergie humaine, c’est l’art. ” Léon Blum
L’énergie: puissance d’action, efficacité, pouvoir, force en action. L’énergie (du grec : force en action) est ce qui permet d’agir : sans elle, rien ne se passe, pas de mouvement, pas de lumière, pas de vie ! Au sens physique, l’énergie caractérise la capacité à modifier un état, à produire un travail entraînant du mouvement, de la lumière, ou de la chaleur.
L’art baroque n’a pas la même énergie en acte qu’une peinture classique où règne l’ordre et non la confusion. Une performance est une force en action par excellence. De l’énergie plastique à l’état pur. Une image byzantine véhicule de l’énergie comme les enluminures. Cette énergie s’exprime de manière concrète dans la performance tandis qu’elle est représentée dans les enluminures où cependant le fond d’or réfléchissant la lumière est une manifestation concrète de l’énergie. Une image signalétique agit comme un voyant lumineux attirant notre attention. L’énergie déployée dans ces images doit être à son maximum. Une peinture de Turner est une représentation de l’énergie de la lumière. L’énergie représentée dans les peintures de Turner coïncide avec celle déployée par l’artiste.
A la lumière de l’énergie, on peut faire un lien entre la peinture de Turner et l’action painting de Pollock. La notion d’énergie traverse l’art de toutes les époques et aujourd’hui dans l’art contemporain elle est centrale.
Martial Raysse avec ses néons présente de l’énergie concrète, Bill Viola dans la Piscine, le mouvement fluxus en sont d’autres exemples.
La performance de Abramovic installée dans un hiératisme total est une métaphore de l’énergie de l’art passant entre deux êtres via la présence de l’artiste.
« L’énergie imprègne les mouvements de l’avant garde dans les années 70, avec entre autres : Carl André, Richard Long, Mario Merz… En France, des jalons avec notamment Jean-Pierre Bertrand qui développe des dispositifs combinatoires et physiques de plaques anthropomorphes, corps rouges, laiton qui agissent sur le visiteur comme des piles » Observatoire de l’art contemporain.
L’énergie est donc au coeur des préoccupations de l’art contemporain et cette notion manque à nos critères d’analyse. Ainsi, l’action serait un constituant plastique ayant à voir avec l’énergie.
A la lumière de cette nouvelle notion, on peut regarder à nouveau l’énergie présente dans la peinture de Messina: la Vierge tend la main vers le spectateur comme pour lui insuffler une énergie divine. Cette peinture invite à la prière qui est une manifestation de l’énergie spirituelle. “La prière est la forme d’énergie la plus puissante que l’on puisse susciter.” Alexis Carrel.
Ainsi on pourrait scinder la notion d’énergie en deux formes discinctes: avec l’énergie réelle et l’énergie représentée. Comme dans la présentation et la représentation, cette énergie connaîtrait deux manières de se manifester : soit dans le concret soit de manière virtuelle. Il serait possible d’analyser la nature de l’énergie véhiculée par l’artiste mais aussi par le spectateur. Nos études des objets artistiques gagneraient en dynamisme et précision. En effet, dans les programmes le rôle de l’artiste et du spectateur ne sont ils pas au coeur de nos apprentissages ? Le corps ne permet pas d’appréhender l’énergie présente dans l’art.
Les oeuvres de Tinguely peuvent être actionnées par le spectateur. Dans les arts plastiques et dans l’architecture, le point de vue, les variations de la lumière, les illusions d’optique, les divers niveaux de lecture interagissent entre le regardeur et l’œuvre. Pour Jérôme Glicenstein « Le monde de l’art des années soixante a vu naître un certain nombre d’idées visant à contester les frontières posées par la tradition entre artistes et spectateurs. Le sujet-participant se constitue au sein même de cette contestation. De nombreuses initiatives artistiques ont ainsi soit développé des stratégies de « création collective » qualifiées de « participatives ».
La cité lisible de Jeffrey Shaw est un exemple de la réintroduction du corps dans l’art technologique . Dans cette installation, l’interacteur pédale sur un vélo dont le guidon est équipé d’un petit moniteur. Il peut ainsi parcourir une ville dont les immeubles ont été remplacés par les lettres géantes d’un texte.
Ainsi comme l’avait écrit Marcel Duchamp « C’est le spectateur qui fait le tableau » ! Mais à la Renaissance, il est remarquable de s’attarder sur les théories des peintres en matière de géométrie. Le plus petit élément de la peinture est fait d’un point. Ce point, pour parvenir à l’état de surface est soit additionné dans la pensée d’Alberti, soit une extension chez Dürer ou un déplacement chez Léonard de Vinci. L’énergie dans le point conduit à la réalisation de l’espace. C’est bien cette énergie qui est à l’oeuvre dans les peintures dynamiques de Vinci ou de Michel-Ange. Un tableau célèbre de Léonard de Vinci, La Joconde, gagnerait en visibilité et lisibilté examinée par la focale de l’energie. Tout est énergie dans ce tableau.
Le sfumato dans l’arrière plan, le contrapposto de la jeune femme, son sourire évanescent expriment une énergie contenue. Une force extraordinaire sourd dans le tableau. Il n’est pas seulement question de mouvement dans ce portrait mais également d’énergie véhiculée par le modèle, par le décor.
Les énergies naturelles sont aussi au coeur de la réflexion des artistes contemporain. Un panneau solaire géant a été exposé à la Fondation Cartier. Cette installation est orchestrée par le studio de création et d’architecture Diller Scofidio + Renfro, en collaboration avec David Lang et Jody Elf (pour la musique). De la lumière et des sons sortent des panneaux visibles soit avec une loupe soit en se glissant dans un chariot. Une grosse goutte à un moment donné fait « splasch! » et le son se transforme en jeu de lumières.
Volonté, vitalité, vigueur, force, ardeur, courage, résolution, détermination, décision, cran, ressort, audace, fermeté, coeur, tous ces termes évoquent l’énergie présente dans les oeuvres d’art.
« Le désir c’est une énergie et l’énergie c’est du désir » écrit Philippe Labro. Avec audace, on pourrait introduire l’énergie dans nos notions plastiques ce qui aurait pour conséquence d’insuffler du désir dans notre discipline !
Danièle pérez
Arts visuels et arts plastiques définitions
Les arts plastiques et les arts visuels ne désignent pas la même chose dans tous les pays.
Les arts visuels :
Les arts visuels: les arts qui concernent la vue.
Les arts plastiques :
Les arts plastiques ne se limitent pas aux arts visuels mais touchent l’ensemble des cinq sens. Ainsi, la place de l’artiste mais aussi du spectateur est considérée dans son ensemble: leur corps est pris en compte dans sa globalité. De ce fait, une sculpture sera analysée également pour son aspect tactile et physique.
Plastique vient du grec « plasitkos » qui veut dire Adj. 1. 1553 «qui vise à la reproduction ou à la création de formes par le modelage» art plastique(Architecture Alberti, Trad. I. Martin, 31a d’apr. Vaganay ds Rom. Forsch. t.32, p.129); 2. 1805 «qui ne relève que de l’apparence physique, qui n’est que forme» (Destutt de Tr., Idéol. 3, p.262); 3. 1833 «dont le mode d’expression est fondé sur l’évocation de formes» (en parlant de poésie) (E. de Guérin, Journal, p.152); 4. 1836 arts plastiques «activités de recherche de la beauté par l’expression, la création, l’évocation de formes» CNRTL On remarque que la forme est l’élément commun à toutes ces acceptions. Les arts plastiques sont donc les arts des formes sensibles où les cinq sens jouent leur rôle. En effet, une forme peut être sonore,tactile, visuelle, olfactive, gustative …
Le changement dans les programmes de maternelle et de primaire insistent sur ce passage des arts visuels aux arts plastiques. Ce changement paraît judicieux car pourquoi limiter l’art aux arts de la vue? Un bâtiment architectural, une installation ne s’appréhendent pas sans un déplacement du corps. Les carrés de pollen de pissenlit de Wolfgang Laib ne se limitent pas à la vue. L’odeur joue un rôle fondamental dans son installation.
Dans les arts plastiques, le rôle du corps est déterminant. Cela peut être le corps de l’artiste ou celui du spectateur mais aussi celui de l’oeuvre. Les arts plastiques permettent une analyse plus approfondie car ne se limitant pas au seul regard.
Il ne faut pas aller sur les forums où les internautes racontent n’importe quoi. Nous lisons ceci « La distinction entre arts plastiques et arts visuels est simple. Les arts plastiques regroupent le dessin, la peinture, l’assemblage, le collage, le modelage, la sculpture, etc. Les arts visuels englobent les arts plastiques traditionnels en y intégrant la photographie (analogique et numérique), la vidéo, les arts numériques (images fixes et mobiles), le design, les arts décoratifs, l’architecture et le patrimoine. L’enseignement des arts visuels permet ainsi aux élèves de découvrir à la fois des œuvres anciennes et des œuvres plus contemporaines. Il permet donc de mettre en accord les arts avec le monde dans lequel vivent les enfants » Quel sens proposent ces définitions ? Est-ce si simple que cela ? Une simple liste à apprendre par coeur…
En considérant les arts plastiques de manière plus élargie, on se rend bien compte qu’une oeuvre d’art analysée uniquement d’un point de vue visuel perd de son sens. Ce changement est donc salutaire pour accorder aux artistes la portée de leurs oeuvre d’art.
Exemple de sculpture où le goût joue son rôle:
Nick van Woert Sculptures: Cut Open Brains, Blown Up Faces and Chewing Gum Bust
Exemple de sculpture où le toucher joue son rôle:
Günther Uecker
Exemple d’installation où l’odeur joue un rôle:
Carré de pollen de pissenlit, Wolfgang Laib
Quand on s’intéresse au développement du dessin chez l’enfant, on est frappé de constater combien la lutte contre le hasard est fondamentale chez celui-ci. Certes, il y a le stade du réalisme fortuit qui s’empare du hasard pour aboutir à des formes mais c’est un peu comme si l’homme n’avait de cesse de combattre cette force du hasard en lui, déviante, perturbante, dans l’organisation du visible. En revanche, l’histoire de l’art pourrait montrer que le hasard s’est emparé vivement de la scène artistique depuis le XXème siècle dont nous allons retracer l’odyssée. « Maîtriser l’indomptable » semble être la devise de tout un pan de l’art contemporain.
Quand on lit les traités de peinture de la Renaissance, notamment celui d’Alberti, on est frappé par le contrôle que ces théoriciens voulaient avoir sur l’image. Rien n’est laissé au hasard sauf peut-être ce fameux point central inaugurant la perspective placé dans la surface à peindre. Mais en même temps, Léonard de Vinci préconisait le hasard comme une fabuleuse opportunité pour peindre : « […] si tu regardes des murs souillés de beaucoup de taches, ou faits de pierres multicolores, avec l’idée d’imaginer quelque scène, tu y trouveras l’analogie de paysages au décor de montagnes, rivières, rochers, arbres, plaines, larges vallées et collines de toute sorte. Tu pourras y voir aussi des batailles et des figures aux gestes vifs et d’étranges visages et costumes et une infinité de choses, que tu pourras ramener à une forme nette et compléter ».
Il faut remonter à Pline l’Ancien qui relate les procédés de fabrication de Protogène : « « Il y a dans ce tableau un chien fait d’une manière singulière, car c’est le hasard qui l’a peint : Protogène trouvait qu’il ne rendait pas bien la bave de ce chien haletant, du reste satisfait, ce qui lui arrivait très rarement, des autres parties. Ce qui lui déplaisait, c’était l’art, qu’il ne pouvait pas diminuer et qui paraissait trop, l’effet s’éloignant de la réalité : c’était de la peinture, ce n’était pas de la bave. Il était inquiet, tourmenté ; car, dans la peinture il voulait la vérité, et non les à peu près. Il avait effacé plusieurs fois, il avait changé de pinceau, et rien ne le contentait ; enfin, dépité contre l’art, qui se laissait trop voir, il lança son éponge sur l’endroit déplaisant du tableau : l’éponge replaça les couleurs dont elle était chargée, de la façon qu’il souhaitait, et dans un tableau le hasard reproduisit la nature. »
Plus tard, Victor Hugo s’est laissé guidé par des taches effectuées au hasard pour construire ses images.
Victor Hugo explore, exploite l’accidentel, l’aléatoire, l’imprévu : « il jetait l’encre » raconte son fils, Georges Hugo, « au hasard en écrasant la plume d’oie qui grinçait et crachait en fusées. Puis il pétrissait pour ainsi dire la tache noire qui devenait lac profond ou ciel d’orage ; il mouillait délicatement de ses lèvres la barbe de sa plume et crevait un nuage d’où tombait la pluie sur le papier humide ». Pourtant il écrivait : »le hasard bavarde, le génie écoute ».
Henri Michaux, sous mescaline qui est une drogue puissante réalise des dessins empruntant aux surréalistes leur technique de l’écriture automatique. L’inconscient devient le moteur de la création humaine.
Le hasard exprime l’incapacité de prévoir avec certitude un fait quelconque. Ainsi, pour éclairer le sens du mot, il est souvent dit que hasard est synonyme d’« imprévisibilité », ou « imprédictibilité » On attribue l’origine du mot hasard à l’arabe « al-zahr » signifiant à l’origine « dés »2 et ayant pris la signification de « chance », car il désigna jusqu’au xiie siècle un jeu de dés, mais aussi par métaphore tous les domaines relevant de la « science de la Chance » (Averroès).
Voici la définition qu’Aristote donne du hasard : « il y a une foule de choses qui se produisent et qui sont par l’effet du hasard et spontanément », mais il affirme que « le hasard, ni rien de ce qui vient du hasard ne peut être la cause des choses qui sont nécessairement et toujours ou des choses qui arrivent dans la plupart des cas ».
En d’autres termes, pour Aristote, le hasard ne peut provenir que du hasard.
La période contemporaine avec ses facéties, utilise le hasard comme l’a fait Marcel Duchamp avec ses Stoppages Etalon « hasard en conserve ». Il jette par terre trois ficelles qu’il fixera sur un support pour immortaliser le geste. C’est la première fois qu’un artiste revendique le hasard dans ses productions. « L’usage du hasard en art, revendication esthétique bien souvent méprisée comme une absurde fumisterie, renvoie pourtant à une constellation aux multiples facettes et fait ici preuve de sa fascinante puissance créatrice.(…)Avant le XXe siècle, l’accident matériologique représente l’essentiel de l’union entre art et hasard. Ce dernier ouvre à des figurations indéterminées, instables et ambiguës. Allié à la capacité projective de l’esprit humain il donne lieu à de libres interprétations. La première œuvre occidentale revendiquant ouvertement le hasard est à chercher dans les trois stoppages-étalon de Marcel Duchamp. » PIerre Saurisse.
Marcel DUCHAMP, 3 Stoppages-étalon (1913/1964) Détail des 3 caissons
Les zones blanches non touchées par la peinture se nomment « réserves ».
Les compressions et expansions de César sont d’autres mises en scène du hasard.
Arman avec ses Poubelles met en scène également le hasard du quotidien.
Robert Motherwell part de dessins réalisés au hasard pour composer ses toiles. Ces dessins sont appelés par l’artiste « gribouillis ».
Sophie Calle joue avec le hasard de rencontres qui n’aboutissent pas. Elle décide suite à un long moment de dépression de suivre des inconnus dans la rue à Paris et à Venise. Ces passants lui font découvrir les villes en imposant leur trajet. « il fallait trouver quelque chose à faire. J’ai commencé par suivre des gens dans la rue. Je me suis aperçue que cela donnait une direction à mes promenades. C’était une manière de me laisser porter par l’énergie des autres, de les laisser décider les trajets pour moi. Et de ne pas avoir à prendre de décisions, sans pour autant rester cloîtrée chez moi. […] Circuler, découvrir ma ville. Et aussi errer, comme je l’avais fait durant mes voyages. « SC
» A la fin du mois de janvier 1980, dans les rues de Paris, j’ai suivi un homme dont j’ai perdu la trace quelques minutes plus tard dans la foule. Le soir même, tout à fait par hasard, lors d’une réception, il me fut présenté. Au cours de la conversation, il me fit part de son projet, imminent, de voyage à Venise. Je décidai alors de m’attacher à ses pas, de le suivre « SC
L’art contemporain a introduit le hasard dans le champ des investigations plastiques. Celui-ci renouvelle les formes artistiques. Les oeuvres ne sont plus dominées par la toute puissance de l’artiste qui laisse entrer les chemins du possible impossible dans ses productions. Mais n’est-ce pas la volonté de vouloir maîtriser l’inconnu, qui se manifeste dans l’art contemporain ? Blaise Pascal disait « Le hasard donne la pensée et le hasard les ôte ». Ce sont bien ces deux mouvements qui sont mis en scène dans l’art contemporain. Le hasard figurant dans Elevage de poussière de Marcel Duchamp n’a rien à voir avec celui mis en scène avec les tirs de Saint Phalle. Chez Duchamp le hasard est le créateur de l’oeuvre sans l’intervention de l’artiste tandis que chez Niki, l’artiste le provoque et cherche à le maîtriser.
Stephen King écrit « La vie est soeur du hasard ». L’art contemporain en s’attaquant à celui-ci cherche à mettre en scène un art plus proche de la vie comme le préconisait le mouvement Fluxus. « Le génie est le hasard de la technique et la technique de ce hasard » Louis Gauthier. La sérendipité entre dans le champ de l’art contemporain où chaque phénomène imprévisible est introduit dans celui des actions plastiques ainsi renouvelées.
François Morellet avec 10 lignes au hasard, réalise une peinture très nette de lignes blanches déposées au hasard sur la toile. Le contraste de la facture précise, nette avec l’aléatoire est très présent.
Réinstallation, François Morellet.
Tony Cragg ramasse au hasard des morceaux de plastiques qu’il recycle dans ses oeuvres murales.
Le hasard c’est aussi permettre à l’oeuvre de n’être réalisable qu’une seule fois. On pourrait rapprocher toutes ces tentatives du monotype. Les artistes ainsi cherchent à introduire un effet de style inimitable, impossible à copier. Mais paradoxalement les oeuvres de Pollock par exemple ont été copiées de nombreuses fois ! La quête de l’original unique non fait de main d’homme n’aurait-elle pas à voir avec le divin ? Mais également l’art ne se démocratise-t-il pas avec ces nouvelles techniques inventées par les artistes ?
La Bible proclame: « De même que tu ignores le cheminement du souffle vital, comment se forment les os dans le ventre de la femme enceinte, ainsi tu ne peux connaître l’oeuvre de Dieu, lui qui fait toutes choses » (Eccl. 11 : 5). La réponse des artistes aux textes religieux est sans appel: la quête de l’inconnu, les tabous, les mystères sont affaires artistiques où se joue la dimension humaine, la création avant tout. Les artistes tentent d’expérimenter l’inexplicable.
On pourrait aussi citer ce proverbe arabe » Le hasard c’est l’ombre de Dieu » ou alors la parole d’Einstein » le hasard est le chemin qu’emprunte Dieu quand il veut rester anonyme ». L’association du hasard à Dieu nous interroge sur la relation des artistes contemporains au divin. Ces productions où le hasard est roi montrent-elles la volonté des artistes à s’emparer du divin ou au contraire serait-ce un geste iconoclaste terriblement humain ?
« Ainsi pensé à l’aune de Duchamp, le hasard prend une dimension éminemment symbolique, qui le lie étroitement à la radicalité des avant-gardes et l’érige, chez ses détracteurs, en négateur emblématique des valeurs traditionnellement associées à l’art et à la production artistique : irresponsabilité de l’artiste qui « s’en remet » au hasard, absence de contrôle, d’effort et de travail dans l’acceptation passive d’éléments aléatoires, paresse, faute morale, contingence de l’œuvre qui renonce à toute cohérence formelle. » « Le hasard comme méthode », Sarah Troche ISBN 978-2-7535-3962-4 Presses universitaires de Rennes, 2015, http://www.pur-editions.fr
Paradoxalement le hasard est à la fois la manifestation de la toute-puissance humaine sur l’aléatoire mais aussi manifestation de l’impuissance de l’artiste qui s’en remet aux lois de la nature. La gravité par exemple s’empare de l’élevage de poussière de Marcel Duchamp ainsi que ses Stoppages Etalon. Les objets sont détournés de leur fonction comme chez Saint Phalle où la carabine devient créatrice ne donnant plus la mort.
La quête du hasard dans l’art ne serait-elle pas la quête de la manifestation de la pulsion de l’inconscient dans l’oeuvre d’art ?
« L’aventure des mots se raconte en feuilleton, chaque épisode en appelle un autre, par-delà les frontières des peuples, des langues, des disciplines et des époques, à l’infini ».
Le mot hasard en français a une origine incertaine. Vient-il de l’arabe ? « »Bien que séduisante, et logique, cette filiation ne fait pas l’unanimité. Non pas l’origine arabe de “hasard”, qui semble clairement établie, mais le fait que ce terme vienne d’az-zahr. Car ce dernier mot, qui veut effectivement dire “dé” dans le langage parlé, n’existe pas dans ce sens en arabe classique, où l’on disait plutôt nard, ou nardashir, des mots à consonance persane. » Amin Maalouf « Et d’où viendrait donc “hasard”? Peut-être, disent certains linguistes, du verbe yaçara, qui signifie précisément “jeter les dés”. D’ailleurs, lorsque le Coran condamne les jeux de hasard, il les appelle “mayçir“, un substantif issu du même radical arabe “y.ç.r”. Un radical qui évoque une idée d’aisance, d’abondance, ou de facilité. »
L’art contemporain connaîtrait-il l’abondance en intégrant le hasard à ses oeuvres ? En tout cas, c’est toute la typologie des oeuvres d’art qui est à considérer aujourd’hui selon le nouveau critère de hasard. Ce qui serait intéressant d’étudier c’est : comment le hasard modifie-t-il les formes sensibles ? Quelles sont les incidences communes du hasard dans la création artistique ? Le hasard connaîtrait-il plusieurs figures ou serait-il à chaque fois le « même » dans la figure ?
Danièle Pérez
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Article complet sur le hasard ici:
http://genevieveblons.blogspot.com/2016/02/1ere-fac-le-hasard-et-le-temps.html
Il n’est pas rare de trouver sur internet des séquences portant sur le monstrueux. Bien souvent, il est demandé aux élèves de réaliser un autoportrait hideux ou effrayant.
« Vous devez créer un visage monstrueux à partir de votre propre portrait en utilisant une ou plusieurs techniques vues précédemment. On ne devra plus vous reconnaître, mais on doit tout de même reconnaître un visage, même si il est monstrueux » Edumoov
On peut se demander pourquoi cette fascination pour le laid et quelle est sa portée pédagogique.
En effet, si on aborde la question du laid il est inévitable de se poser la question du beau.
N’est-ce pas mettre en difficulté les élèves qui ne sont pas à l’aise avec leur image ?
Ce sont ces raisons qui motivent cet article sur le monstrueux dans l’art. En examinant les représentations du monstrueux dans la scène artistique, nous comprendrons pourquoi cette fascination pour le laid anime bien des esprits.
Adorno écrivait : « le laid doit constituer ou pouvoir constituer un moment de l’art ». Comme le dit le proverbe anglais « la poubelle de l’un est un trésor pour l’autre ».
Le laid provoque un sentiment de malaise, de dégoût.
Par exemple, John Isaacs The Matrix of Amnesia, 1997, est insoutenable. La vision de ce corps flasque et adipeux nous répugne. Pourtant la facture hyper-réaliste devrait nous fasciner. Le corps mou est bien plus effrayant que la facture parfaite.
Patricia Piccinini excelle dans le rendu hyper-réaliste de monstres.
Il est intéressant de remarquer combien la laideur dans cette oeuvre est le corollaire de la vraisemblance. Tout est fait pour que le spectateur « croit » à ce qu’il voit, il y a comme une sorte « d’adhérence » du visible à la chose infâme exposée.
Au XV.XVIème sècle, Quentin Metsys peint sa Vieille femme grotesque avec le même souci de réalisme. La laideur doit faire peur et pour cela, elle doit être crédible.
Arcimboldo peint des portraits monstrueux en assemblant des formes végétales, des fruits ou des objets. Le rendu est très précis comme s’il voulait nous convaincre que ces créatures existent.
« De l’Antiquité grecque à la Renaissance, la laideur est une spécificité ontologique des femmes. C’est l’être féminin dans sa globalité physique comme morale qui est hideux. De grands penseurs de l’époque en témoignent. Ainsi, chez les Grecs, la laideur physique reflète la laideur morale. Pour Platon, naître femme est une punition. Les aimer est un signe de faiblesse. Saint Thomas déclarait que la femme est un homme raté. » Histoire de la laideur féminine , Claudine Sagaert, préface de David Le Breton, postface de Georges Vigarello, Imago, 2015.
« Le monde chrétien tenait la femme en horreur, ne l’oublions pas. »Umberto Eco.
« On retrouve une approche similaire dans le Talmud : « la femme est une glaise qui ne se donne qu’à l’homme capable de lui sculpter une forme « Là encore, la matière fait référence à l’être féminin, et la forme à l’être masculin. » Claudine Sagaert.
Il est intéressant de remarquer que la laideur est consubstantielle à la matière, a priori féminine tandis que la forme, concept prenant visage, est associée au genre masculin. On comprend mieux le statut du détail, le seul à pouvoir rendre les accidents de la matière dans la forme.
Fasciné par la laideur, Metsys livre une autre peinture tout aussi effroyable. Le contraste entre la beauté de la jeune fille et l’homme disgracieux est saisissant.
Jérôme Bosch est aussi friand de la laideur.
« Demandez à un crapaud ce que c’est que la beauté, le grand beau, le tò kalon. Il vous répondra que c’est sa crapaude avec deux gros yeux ronds sortant de sa petite tête, une gueule large et plate, un ventre jaune, un dos brun. Interrogez un nègre de Guinée ; le beau est pour lui une peau noire, huileuse, des yeux enfoncés, un nez épaté. Interrogez le diable ; il vous dira que le beau est une paire de cornes, quatre griffes et une queue ».Umberto Eco.
Francis Bacon réalise des autoportraits où il se défigure. Mais est-ce vraiment la laideur qu’il veut représenter ou alors un certain rapport à la souffrance ? N’est-ce pas plutôt un visage déformé par la douleur que nous voyons plutôt que l’expression de la laideur ?
« Les Grecs ont les premiers développé cette idée: kalos kai agathos, disaient-ils, « le beau est le bien ». Les dieux et les héros étaient beaux et vertueux. Mais avec l’exemple de Socrate, qui était hideux et possédait une grande âme, il leur a bien fallu réfléchir au fait qu’une laideur extérieure pouvait cacher une beauté morale. » Umberto Eco.
Mais que nous apprend l’histoire de ce mot ?
« Étymol. et Hist. Ca 1100 « désagréable, horrible, odieux, repoussant (d’une personne) » (Roland, éd. J. Bédier, 1238 : La premere [eschele] est des Canelius les laiz). A. Adj. 1. 1155 « qui est d’aspect désagréable » (Wace, Brut, 1563 ds T.-L. : Methael fu la plus laie); 2. a) 1155 « horrible » (Id., op. cit., 9176, ibid. : laide destructïun); b) ca 1160 « qui inspire le mépris » (Moniage Guillaume, I, 347, ibid. : cose laide); ca 1160 lait tens (Eneas, 192, ibid.); 1160-74 li roiz… mout li fet leide chere (Wace, Rou, éd. A. J. Holden, II, 175). B. Subst. 1. 1121-34 faire grant lait « causer un préjudice » (Philippe de Thaon, Bestiaire, 1104 ds T.-L.); 2. 1668 « laideur » (Racine, Plaideurs, III, 3). De l’a. b. frq. laiþ « désagréable, contrariant, rebutant », de la même famille que l’all. leid, adj. et Leid, subst. « mal, peine, souffrance, douleur » (cf. Kluge20et Duden Etymol.), et qui correspond à l’a. h. all. leid « désagréable, affligeant »; m. h. all. leid « id. ». Le sens primitif « désagréable, outrageant, odieux », attesté dès le début du xiies. en fr., s’est maintenu dans les dér. dialectaux, comme le norm. laidure « outrage » et le manceau laidanger « outrager », v. FEW t. 16, p. 439b. Le sens esthétique, bien que déjà attesté au tout début du xiies. ne s’est répandu qu’à partir du xives., et a fini par évincer le sens premier du mot. » CNRTL
Ainsi la laideur causerait un préjudice tant elle est effroyable. Le beau, d’une certaine manière représenterait l’ordre établi, l’harmonie de ce monde tandis que les aspirants au laid en montreraient les dysfonctionnements. Il y a une dimension politique du laid. Les partisans du laid dénonceraient-ils les dysfonctionnements d’une société trop bien huilée ? Peindre la laideur consisterait à outrager la peinture dont la vocation première serait d’exprimer la beauté.
Ainsi le laid serait comme un acte de résistance de la part des artistes, résistance à cette beauté qui formate les esprits.
Il est intéressant de remonter plus loin dans l’histoire de la peinture religieuse. La vie du Christ sur terre est particulièrement choyée par les artistes qui s’adonnent allègrement à l’expression du laid. Mais c’est pour mieux montrer la souffrance de l’homme avec une emphase particulière. Ainsi Bouts représente le Chris avec un visage de la Passion tuméfié et particulièrement défiguré. La souffrance nous rendrait-elle inhumains ?
Il est intéressant de remarquer dans la peinture de Bouts combien le détail participe à l’exposition du laid tandis que la beauté triompherait avec des compositions plus idéalisées.
Les Trois Graces de Rapahël ne s’épanchent pas dans les détails.
Le photographe Lee Jeffries excelle dans l’exposition du laid en immortalisant des personnes issues de la misère. On voit dans ses photos que le détail omniprésent amène à l’expression du laid.
Quand on agrandit cette photo, les détails sont impressionnants. Comme si le détail était destructeur de la beauté idéalisée.
Francis Bacon en revanche présente comme une « idéalisation » de la laideur où le détail est absent de la composition. C’est peut-être l’artiste qui a le plus transféré dans la laideur une vision émanant de la beauté où le détail n’a pas de place.
Chez Botticelli, la Naissance de Vénus, il n’y a pas de place pour le détail. La beauté est une vision épurée de toutes les scories de l’humain.
« Pour les Grecs et ce dès la période archaïque, le corps exprime les qualités physiques et éthiques de l’individu, la beauté spirituelle se reflète naturellement sur les qualités du visage et du corps. » Akiko UTO. On comprend que la laideur est comme une sorte d’accident dans la beauté, un détail ou plusieurs qui viennent troubler la vision d’ensemble.
Ludovic Levasseur propose des sculptures où le détail conféré par la matière est très prégnant. Il se dégage de celle-ci comme une matérialité repoussante presque odieuse.
Mais c’est en analysant notre relation à la beauté que nous comprendrons bien que le statut du détail n’a pas sa place dans les canons actuels de la beauté. Des applications permettent de nous lisser le visage en gommant toutes les impuretés afin d’obtenir un visage ethéré.
Il est intéressant de comparer des images retraitées par photoshop dans le monde de la mode.
Nous voyons bien qu’il n’y a pas de place pour les détails dans ces photos ci-dessus. Les trois visages se ressemblent après la retouche d’image. Les expressions du visage sont réduites à leur minimum. Ces visages n’ont-ils pas quelque chose d’inhumain ?
Plus que l’expressivité de l’écart dans l’art, c’est bien le statut du détail qui est au coeur de la genèse du laid. Cette impureté qui fait « tache » dans l’image.
Dans ces photographies, Annie Lebovitz joue avec art en mettant en scène les détails venant émailler les clichés du séduisant Prince ou Johnny Depp.
Les photos de Leibovitz sont comme des icônes modernes reflétant la beauté de ce monde avec le « grain » de la laideur.
Le laid est souvent peint de manière obscène. Le vieux Couple du portraitiste Bartolomeo Passarotti représente un vieux couple indigne avec la touche des primitifs flamands avec en plus un trait de caricature. La scène est immonde : les deux vieillards s’embrassent sans honte.
Le laid bouleverse les codes de la représentation de la beauté. Victor Hugo pensait que la beauté a un visage et la laideur mille. Mais c’est plus la manifestation de la souffrance qui vient terrasser les apparences. »Toute laideur n’est pas comique mais tout comique contient une certaine dose de laideur. » Umberto Eco
Chaïm Soutine, Autoportrait, 1916. La laideur qu’on peut y trouver s’appuie sur les gros coups de brosse, l’absence de finesse de l’exécution.
Lucian Freud. Sue Tilley, ou La Femme endormie près devant la Tapisserie au lion (1996). Le corps difforme est magnifié par la peinture.
Le peintre plus qu’une femme obèse cherche à représenter la carnation de la peau. Les plis adipeux permettent au peintre de bien représenter les chairs. Le rose de la peau est teinté de vert. Le nu devient monumental sous le pinceau de l’artiste.
L’intrusion du laid ne se fait pas exclusivement via les détails. Picasso quant à lui bouleverse les formes qu’il vient accidenter afin de perturber le visible. La forme est chaotique et déformée.
Le laid comme témoin de la rage de l’histoire.
Les guerres mondiales se sont montrées particulièrement cruelles et dévastatrices. Les artistes ont témoigné de cette laideur atteignant des sommets de l’horreur. Otto DIx dans Les joueurs de skat montre des gueules cassées assis autour d’une table et jouant aux cartes. La scène est monstrueuse comme l’a été cette guerre avec ces gueules cassées rentrant du combat défigurées et ne trouvant plus de place dans la société.
David Olère représente une Piétà moderne avec cette scène se déroulant dans les camps de concentration.
Dans ces oeuvres il y a une coïncidence de la laideur de l’histoire avec celle représentée.
La manifestation du laid dans l’art pourrait être une intrusion de l’artistique dans la beauté ou plus précisément d’une « posture artistique » réfutant les canons de la beauté. Comme dit plus haut, cette intrusion a une dimension politique. L’art ne s’adresse plus à une élite bien pensante mais à l’ensemble des regardeurs. Chacun peut voir dans ses représentations du laid une manifestation de la beauté dans sa plus terrible expression.
Picasso l’avait bien dit au sujet de Guernica « l’art n’est pas fait pour décorer les appartements. C’est une arme défensive et offensive contre l’ennemi ».
« Rien n’est beau, il n’y a que l’homme qui soit beau : sur cette naïveté repose toute esthétique, c’est sa première vérité. Ajoutons-y dès l’abord la deuxième : rien n’est laid si ce n’est l’homme qui dégénère ». Nietzsche.
Il est intéressant de remarquer que l’expression de la laideur est davantage liée à « l’individualité » tandis que la beauté serait par essence même la quête d’un idéal … presque inhumain. Enfin Umberto Eco disait : « Il faut intégrer une notion de norme, fondée sur la moyenne de l’espèce. Un être humain ne peut pas faire plus de deux mètres sinon c’est un géant, ni être plus large que moi sinon c’est un personnage de Botero, etc. Pour le laid, il n’y a pas de limite. Il y a une possibilité infinie pour faire du laid alors qu’il n’y a qu’une possibilité finie pour faire du beau. »
Voir entretien avec Umberto Eco
http://www.lexpress.fr/culture/livre/umberto-eco_813306.html
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Un article sur le Non-Beau dans l’art et le point de vue de Marcel Duchamp ici:
https://perezartsplastiques.com/2017/03/18/le-non-beau-peut-il-etre-artistique/
La crucifixion dans l’art occidental est un thème récurrent dans l’histoire car elle relate l’exécution particulièrement cruelle et injuste d’un homme pour ses idées religieuses. Cette cruauté et cette injustice sont au coeur des représentations. Comment émouvoir le peuple avec cela ? Comment émouvoir les hommes au sujet de la violence inouïe régnant parmi eux?
La Crucifixion désigne le crucifiement de Jésus de Nazareth, considéré par les chrétiens comme le Christ. Selon les textes néotestamentaires, Jésus-Christ fut condamné à mort par le préfet romain Ponce Pilate, à l’instigation des autorités juives, et exécuté par le supplice de la croix.
C’est avec l’art byzantin que fleurissent les représentations du Christ en croix. Les représentations sont codifiées jusque dans les moindres détails.
On remarque que la tête du Christ est toujours tournée vers la droite. C’est la posture du Christ patiens ou résigné typique de cette époque. Le Christ est mort et c’est cet état que les byzantins offrent à leur fidèles.
Le Christ triomphant est une autre version de la représentation de la Crucifixion. IL est intéressant de remarquer que sur le titulus panneau où était inscrit en hébreu, en grec et en latin » Jésus de Nazareth, roi des Juifs » figure des saints.
Dans la Crucifixion de Cimabue, toujours fidèle aux codes de la représentation byzantine, le corps est particulièrement expressif comme tordu de douleur. Les côtes apparaissent à fleur de peau. La grisaille accentue l’aspect décharné du Christ. Mais le personnage est humanisé: la tête est représentée baissée sur l’épaule, les yeux clos soit absents,on voit des marques de douleur sur le visage, la bouche est incurvée vers le bas, les plaies sont saignantes (mains, pieds et flanc droit), le corps tordu déhanché, arqué dans un spasme de douleur, subissant la lourdeur de son poids terrestre.
Masaccio représente la scène avec un mouvement de la Vierge remarquable, épousant celui du Christ. Le modelé des corps est plus naturaliste avec un rendu des volumes bien plus marqué.
Avec Fra Angelico, la mise en scène du supplice est plus spectaculaire. La Vierge est évanouie et les personnages assistent à la scène. Le portrait du Christ est plus réaliste moins schématisé que dans l’art byzantin. Le raccourci sur la tête du jeune homme sur la droite est remarquable pour l’époque.
Dans une autre représentation avec Saint Dominique, Fra Angelico focalise l’attention des fidèles sur le corps du Christ. La scène est épurée presque minimaliste.
Andrea del Castagno, 1440, représente une scène avec un nouveau rendu des lumières et des ombres. Les plis des étoffes sont rendus avec davantage de précision et le corps du Christ est plus anatomique. Mais il reste encore l’empreinte byzantine avec les flancs typiquement schématisés comme dans les Crucifix ci-dessus.
A la Renaissance, la Crucifixion prend une autre tournure. Bellini représente un corps plus réaliste avec un décor urbain dans l’arrière-plan. La lumière vient frapper les flancs du Christ représentés cette fois avec un réalisme évident. Le but de la peinture est de permettre aux fidèles de s’identifier avec le personnage.
Dans une autre version, Bellini accentue la mise en scène avec cette Crucifixion ayant lieu au milieu de la foule.
Dans les pays du Nord, Hugo Van der Goes s’attarde plus au côté dramatique de la scène, souillant la peinture avec des gouttes rouges de sang venant émailler le tableau.
Le corps blanc du Christ contraste avec le fond sombre, contraste qui sera repris par la suite par Rembrandt de manière magistrale.
Rogier Van der Weyden, 1460, représente une Crucifixion remarquable pour ses teintes: rouge, blanc et couleur chair. Ce minimalisme dans les rendus de la couleur permet de renforcer le côté tragique de la scène: le rouge étant la couleur de la Passion, le blanc de la pureté.
Cette représentation a un côté presque « photographique » pour l’époque. Les deux personnages Marie et Saint Jean sont comme surpris sur le vif. La posture de Saint Jean est remarquable: comme saisie dans l’instantanéité.
Gerard David dans la sienne situe la scène dans un paysage avec un rendu de l’horizon très abouti.
Revenons en Italie avec le Pérugin et sa Crucifixion édulcorée. Les courbes des tissus épousent le corps du Christ représenté gracieux sous les traits d’un beau jeune homme dont le corps ne semble pas être souffrant ni torturé par les clous. Il est comme en lévitation sur la croix.
avec Benvenuto di Giovanni, 1491, où le raccourci d’un cheval est saisissant. A la Renaissance, la scène devient le prétexte de montrer des prouesses techniques.
Mathias Grünenwald en 1512 peint une crucifixion où toute la surface du corps du Christ est envahie de coupures et de lésions. La scène est effroyable et montre avec insistance le supplice subi par le Christ.
Au XVIIème siècle, les représentations changent avec l’accent mis sur la souffrance du Christ avec la lumière.
Rubens en 1618 peint une scène dépouillée de tout décor avec seules les ombres et la lumière encadrant le Christ. Le visage de ce dernier est celui d’un jeune homme à la beauté émouvante. Tout est mis en scène pour émouvoir le fidèle.
Van Dick en 1622 rend magistralement la scène avec une mise en scène de la lumière spectaculaire. Le sans contraste violemment avec le linge blanc. On remarquera que la tête du Christ est tournée vers la gauche. Fait nouveau
Zurbaran en 1627 reprend la mise en scène de la lumière inondant le Christ. Le personnage est totalement isolé sur un fond de ténèbres.
En 1631, Rembrandt réalise la sienne avec la même verve du clair-obscur.
Vouet peint une remarquable crucifixion où la posture des corps allongés de Marie et des autres personnages contrastent avec la verticalité du corps du Christ. Il y a comme un dialogue entre les personnages, le Christ regardant vers le bas de la scène et avec la jeune femme comme saisie de stupeur le regardant.
Au XVIIIème siècle, Tiepolo 1745-50 change d’angle pour représenter la scène en montrant le Christ légèrement de biais. Le bras gauche tendu du Christ est ce qu’on remarque de manière évidente. L’étirement du membre atteint son paroxysme. On retrouve le même raccourci sur le cheval.
Goya en 1780 montre un Christ davantage résistant à la douleur annonçant ainsi sa résurrection.
En 1782, Jacques Louis David propose une nouvelle Crucifixion. L’artiste a recours aux mêmes effets de contrastes d’ombres et de lumière.
Au XIXème siècle William Blake représente une nouvelle version en monochrome.
Pierre-Paul Prud’hon rend l’épisode avec Marie Madeleine venant essuyer les pieds du Christ. Il reprend des caractéristiques des peintres du Nord avec la lumière et l’ombre.
Gauguin quant à lui va faire triompher le jaune dans sa toile. Le Christ est stylisé et situé dans la campagne. Le jaune est la couleur qui réunit le Christ avec la nature.
En 1913, l’expressionniste Max Ernst torture le corps du Christ pour montrer le supplice. Toute la toile est crucifiée sous son pinceau.
En 1930, PIcasso remet une Crucifixion torturée où on distingue à peine la Croix avec le Christ.
Au printemps 1931, Marc Chagall visite la Terre Sainte dans le but de trouver l’inspiration pour son nouveau projet. Il peint cette crucifixion avec un ton à la fois poétique et dramatique. Des scènes d’horreur encadrent le Christ. « Scènes de pillage, pleurs mêlés de désillusions, fuite et exil, cette toile témoigne des désappointements de Chagall devant les événements politiques qui grandissent sourdement puis de plus en plus fort autour de lui. » Soriano
Niki de Saint Phalle en 1963 propose une Crucifixion où une femme est suppliciée. Le visage de la jeune femme est triste et déprimé. Elle n’a pas de bras. La femme objet de désir semble être ici au coeur de la représentation.
Francis Bacon représente des courbes et lignes presque abstraites. On dirait un animal dans un abattoir pendu à des crochets.
Enfin, Sir Stanley Spencer montre la scène d’un point de vue inédit: vue de dos.
Dali dans la sienne montre un corps en lévitation, décollé de la Croix avec des cubes rappelant les clous.
Dinah Roe Kendall montre l’envers de la scène avec les visages teintés d’effroi des spectateurs bleutés.
Renato GUTTUSO représente une Crucifixion avec la présence d’un nu. Celle-ci blasphématoire serait celle de Marie Madeleine. Le cheval gris fait référence à la jument dans Guernica de Picasso. L’angle de vue est inhabituel : le spectateur n’a pas, comme dans la plupart des Calvaires, l’impression d’être au pied de la croix, dans la situation des personnages représentés autour : il est surélevé, au même niveau que les visages des victimes, et donc surplombe légèrement l’ensemble.
Damian Hirst montre un animal écorché et crucifié comme pour dénoncer les violences animales. L’oeuvre est limitée dans le temps car le corps de la bête dans le formol va quand même pourrir.
Banksy représente un Christ avec des paquets de grande surface dans chaque main. Cette représentation dénonce le système de notre société de consommation.
Bill Viola représente les martyrs de l’eau de la terre de l’air et de l’eau. « L’art est là pour exprimer les sentiments. Il doit reproduire, chaque fois à sa manière, les grandes histoires de l’homme, les grandes expériences que l’humanité a connue, génération après génération. Chaque génération d’artistes doit repenser et refaire ces histoires et idées de l’humanité pour pouvoir mieux refléter le monde contemporain » Bill Viola
Adel Abdessemed sculpte quatre crucifix en fil de fer barbelé installé à côté du retable d’Issenheim à Colmar.
Les Christ métalliques sont accrochés au mur sans leur croix. Il sont de la taille de l’artiste algérien vivant à Paris âgé de 41 ans. C’est peut-être l’histoire du peuple algérien qui est mise à nu dans cette oeuvre. La couronne d’épines matérialisée par le fil de fer barbelé est le matériau de ses sculptures. « Ce matériau, le même que celui utilisé dans le camp de Guantanamo ou par la défense militaire des frontières, est l’essence même de la cruauté et de l’oppression », analyse Mme Goerig-Hergott.
Doug Blanchard représente un Christ homosexuel en croix pour dénoncer l’homophobie. Cette peinture The Passion of Christ : A Gay Vision a fait scandale aux Etats Unis. Elle ne relate que les conditions difficiles où vivent les homosexuels encore victimes de préjugés et de violence dans le monde.
Une « Rustifiction » humoristique de Corentin Harlé faite avec des circuits imprimés.
Immersion (Piss Christ)1, plus souvent désignée par le titre abrégé Piss Christ, est une photographie de l’artiste américain Andres Serrano, réalisée en 1987. Pour réaliser sa photographie, l’artiste dit avoir rempli un verre de son urine et de son sang, puis y avoir immergé un petit crucifix en plastique.
Igor Mitoraj réalise une sculpture d’un homme avec une croix évidée dans son corps. Le corps devient croix et la croix devient corps.
Bettina Reims propose un triptyque où l’on voit un homme et une femme crucifiés (les deux larrons ?). Au centre une croix avec des traces de sang au niveau des clous. « L’humanité (homme et femme) rassemblée et crucifiée ? Trois figures du Christ ? Choquant ? Il existe toute une tradition picturale de donner au Christ une figure féminine, depuis le « Noli Me Tangere » du Titien ou « l’Ecce Homo » de Corrège. La force de cette œuvre est telle que Bettina Rheims l’a accrochée dans son propre bureau ! » ici
Clet Abraham détourne les panneaux de signalisation pour en faire des crucifix modernes.
Même le street art s’y met avec des installations inattendues.
En mai 2015, une oeuvre d’art a été exposée en Lettonie montrant Poutine crucifié. Les passants furent invités à planter des clous dans le personnage à la manière des traditions vaudous.
Le supplice par la croix a été très pratiqué par les romains. Les suppliciés étaient torturés et la croix était l’objet de bien des railleries. Avec le supplice du Christ, la croix devient le symbole de la foi. Les artistes contemporains se sont à nouveau emparés du thème pour donner une nouvelle dimension à cette représentation religieuse: elle peut devenir un moyen pour dénoncer des pratiques inhumaines, carrément politique comme dans l’oeuvre de l’artiste algérien Adel Abdessemed, une critique acérée de notre société de consommation avec les oeuvres de Banksy. L’art contemporain a permis à ce thème de devenir universel et parfois comme étant un acte de résistance comme c’est le cas en Lettonie.
La crucifixion est encore un supplice mortel infligé aux opposants dans les pays comme l’Irak et au Levant.
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Le jeu dans l’art est une thématique vivante et qui permet aux artistes de montrer leur art ainsi que leur manière d’en jouer !
Dans l’Egypte antique le Senet était un jeu pratiqué à l’époque par les nobles, jeu qui signifie « le passage ». dans le royaume d’Osiris. Ceux qui pratiquaient le Senet jouaient leur destin dans les parties. Il y avait sept puis cinq pièces blanches et noires.
Néfertari jouant au senet. Peinture dans la tombe de la reine.
Les Grecs sont de grands joueurs comme le montrent les Jeux Olympiques. L’art ne cesse de représenter les beaux athlètes dans des postures sportives et élancées. Plusieurs mythes expliquent l’origine des jeux olympiques: fondés par le héros Pélops ou Héraclès,
Chez les romains, les jeux perdurent. Les Jeux de la Rome antique, ou les Ludi, comprennent les courses de chevaux, l’athlétisme (athletae), la boxe et même du théâtre. Il y avait les jeux des gladiateurs, les courses de chars, des combats navals, des chasses etc. On rapporte que l’empereur Néron n’hésitait pas à jouer sur un coup de dés la somme de 400 000 sesterces, soit l’équivalent de la solde de 400 soldats.
Les plus anciennes cartes à jouer connues sont d’origine chinoise et apparurent durant la dynastie Tang (618-907) au moment où le format des livres passe du rouleau à la feuille.
Manuscrit (VIe-VIIe siècle)Krishna et Radha jouant au chaturanga
Roman du chevalier Cifar. Castille. Miniature de Juan de Carrion.
XIVe siècle
Le chevalier Cifar observe le camp ennemi jouer aux échecs
Il y a comme une mise en abyme du jeu dans cette enluminure.
Le 3 avril 1369, le roi Charles V promulgue une ordonnance singulière, qui prétend interdire aux sujets de son royaume la pratique de tous les jeux. Les jeux de dés, de tables, le jeu de paume, les quilles, les palets, la soule et les billes sont explicitement désignés. De fait, tous les jeux « qui n’ont point d’utilité pour exercer nos dits sujets au maniement des armes » sont visés, les contrevenants s’exposant à l’importante amende de quarante sous ; pour se divertir, les sujets doivent s’adonner exclusivement au tir à l’arc ou à l’arbalète.
Partie d’échecs devant un château, par le Maître de Liedekerke
L’inventeur des jeux le plus souvent signalé, dès le haut Moyen Âge, c’est le diable : l’apparition du jeu daterait de la Passion du Christ, le diable venant apprendre les dés aux soldats romains au pied de la Croix
Jacques de Cessoles, Le Jeu des échez moralisé. Les échecs représentent la société avec ses rois et reines, cavaliers et fous. La partie s’arrête quand le roi est mat ou mort. N’est-ce pas une manière de faire de la propagande ?
Le jeu de cartes fera son apparition pour la toute première fois en 1370. Il se démocratisera avec l’invention de l’imprimerie.
Brueghel l’Ancien représente une scène rurale avec plus de 90 jeux d’enfants. La prouesse est éclatante.
Jerôme Bosch dans L’escamoteur représente une scène de jeu où le joueur se fait subtiliser sa bourse par un voleur.
Lucas van Leyden (1494-1533): ou Lucas de Leyde, aussi appelé Lucas Huighensz ou Lucas Jacobsz est un peintre et graveur hollandais. Le jeu d’échecs 1508 montre une scène de jeux peinte avec beaucoup de détails.
Le jeu d’échecs 1590 de Carrache Ludovic
Les tricheurs de Georges de La Tour en 1635 est intéressante: le peintre et l’observateur assistent à une scène de tricherie.
Paul Cézanne représente les fameux joueurs de cartes en 1891
Picasso peint les joueurs de cartes
Otto Dix montre une scène de l’après guerre avec des gueules cassées jouant au cartes. Il est intéressant de remarquer que le spectateur a une vue globale sur le jeu faisant de lui un vainqueur.
Quand l’art devient un jeu :
Léonard de Vinci peint deux fois La Vierge aux rochers avec de subtiles différences.
Mais il revient à Charles V d’avoir inventé le premier jeu des 7 différences avec son portrait peint par deux artistes dont le premier Jacob Seisenegger en 1532 et un an après par Titien.
« Charles Quint demanda donc au Titien, un autre peintre de sa connaissance, de réaliser une copie du tableau, mais en veillant à y inclure 7 différences. Les invités auraient ainsi un jeu pour s’occuper et tromper leur ennui. Maurice de Saxe fut le premier à trouver les 7 différences. » Ici
L’art contemporain réduit la frontière avec le jeu: les artistes deviennent des inventeurs de nouveaux dispositifs. Avec le numérique, le jeu vidéo devient un sujet de recherches pour les artistes.
Mais avant, Marcel Duchamp s’est arrêté de peindre pour jouer aux échecs …
Ping Pong Table de Orozco est constituée de quatre joueurs qui doivent éviter que la balle tombe dans la mare centrale.
Stadium de Marurizio Cattelan est un baby-foot où 22 joueurs peuvent s’affronter comme sur un vrai terrain de foot.
en 1991, dans la galerie d’Art moderne de Bologne, la Cesena, équipe du championnat régional italien, et l’AC Fornitore Sud – fournisseurs du sud – se sont affrontées sur ce baby-foot géant. Egalitaire quant à son fondement, le jeu apparaît révélateur d’inégalités et, ce faisant, du dérèglement social11. Car l’AC Fornitore Sud est une équipe d’immigrants sénégalais en situation irrégulière, composée par Cattelan lui-même.
Gogolf ? François Curlet a invité 18 amis artistes à réaliser un minigolf, grandeur nature. Chaque « trou » a été conçu par un artiste différent. Le tout donne une installation loufoque, ouverte au public qui peut emprunter des clubs et balles de golf pour tester les différents spots, pour certains carrément infaisables
Cinq toboggans géants installés par l’Allemand Carsten Höller dans le hall des Turbines de la Tate Modern à Londres : parc d’attractions ou nouvelle architecture ?
Wim Delvoye détourne une cage de football.
Tony Cragg fait de géantes sculptures avec des dés.
Les Skullball machines de Perego où on achète des têtes de mort
Freya Jobbins est une artiste australienne qui s’amuse à recycler des jouets, en détournant cette vision de l’enfance, pour en faire de véritables oeuvres d’art à travers une série de portraits surprenants.
David Adamo fabrique des raquettes de Ping pong injouables.
Feng Mengbo, Long March
Cory Arcangel et le sommeil de Super Mario
Hunter Jonakin : Jeff Koons must die : un jeu où on fait exploser les oeuvres de Jeff Koons. Mais qu’avaient-ils contre lui ?
Jeff Koons Must Die!!! The Video Game from Hunter Jonakin on Vimeo.
Guillaume Reymond propose une performance dans une salle de spectacle sur le jeu Tetris
Les pinatas de Sarah Bay William
Keita Takahashi & Adam Saltsman’s « Alphabet » est un jeu graphique avec les lettres de l’alphabet
On voit que le jeu dans l’art contemporain a diversifié les supports et médiums. L’art par le jeu tente de trouver un nouveau public en réduisant la frontière le séparant de lui. Par le jeu, les artistes comme Cattelan proposent une critique sociale. Mais le jeu sert également à vilipender les artistes comme le montre le jeu vidéo faisant exploser les oeuvres de Jeff Koons. !
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La fenêtre a été depuis l’art roman puis gothique dans le vitrail un moyen de la mettre en scène de manière spectaculaire. Puis celle -ci à la Renaissance est devenue la pierre angulaire de l’art figuratif.
La fenêtre dans l’art de Van Eyck à l’art contemporain
A la Renaissance, Alberti, théoricien de la peinture écrit dans son De Pictura : « Je trace d’abord sur la surface à peindre un quadrilatère de la grandeur que je veux, et qui est pour moi une fenêtre ouverte par laquelle on puisse regarder l’histoire (historia) » Les peintres donc représenteront des fenêtres soit pour entériner les propos d’Alberti ou au contraire les questionner. La peinture plus tard chez Poussin aura une vocation d’imitation : « « une imitation faite avec lignes et couleurs en quelque superficie de tout ce qui se voit sous le soleil ».
Ce thème de la fenêtre propose une dialectique entre le dedans et le dehors, l’intime et le public.
Van Eyck, dans la Vierge au Chancelier Rolin montre une scène d’intérieur avec une ouverture sur le monde. Plusieurs centaines de figurants sont placés dans le décor. L’ouverture permet de montrer la virtuosité de l’artiste mais aussi le pouvoir du commanditaire sur le monde.
Chez Dürer, dans la gravure Méthode pour dessiner un luth, représente un peintre en pleine action. La fenêtre permet de créer un lien entre le peintre et la nature.
Lorenzo di Credi, Portrait d’une jeune femme ou La Dame aux jasmins, 1485-1490 La fenêtre permet d’éclairer la scène intérieure.
Lorenzo Costa dans cette Nativité, place une fenêtre derrière l’enfant Jésus pour le faire ressortir du tableau. Un fort contraste compose la scène. Le drap blanc en perspective compose des lignes qui sont reprises par la géométrie de la fenêtre. Les obliques pointant vers le ciel symbolisent l’ascension future de l’enfant divin.
PLus tard, Vermeer utilise dans presque toutes ses peintures la présence d’une fenêtre comme source lumineuse dans le tableau.
Dans l’Atstronome, la lumière inonde le globe. C’est cette lumière symbolisant la connaissance qui éclaire le scientifique.
Samuel Van Hoogstraten, “l’homme à la fenêtre” 1653. Le point de vue sur la fenêtre est autre. L’homme est comme enfermé dans la composition du tableau.
Jeune garçon sortant du tableau
Trompe-l’oeil de Pere Borrell del Caso
Le cadre du tableau est comme une fenêtre ouverte par laquelle sort le jeune homme. On voit bien que la fenêtre permet de cadrer une autre scène dans le tableau.
Caillebotte peint Le jeune homme à la fenêtre. La silhouette noire se détache de l’ambiance lumineuse. Le jeune homme rêve devant la fenêtre face à un paysage urbain. Il est tourné vers l’avenir.
Puis il peint Les raboteurs de parquet avec une fenêtre éclairant la scène. La fenêtre permet d’illuminer le parquet motif du tableau avec sa partie mate rabotée et sa partie brillante. Le parquet est le sujet du tableau. La peinture a cette force de pouvoir représenter la brillance et la matité.
Kees van Dongen se représente face à la fenêtre. Une masse sombre se détache de la fenêtre. C’est l’âme de l’artiste qui est livrée ici avec ces teintes de bleu parcourant la toile. On distingue à peine les traits de son visage à contre-jour.
Van Gogh représente sa chambre avec une fenêtre fermée. Pas d’escapade possible dans cet intérieur.
Henri Matisse en 1908 peint la Desserte rouge. La pièce est divisée en deux parties avec des couleurs bien distinctes à dominante chaude pour l’intérieur et froide pour le jardin. Tout paraît plan dans le tableau.
En 1911, dans cette Conversation, Matisse plante une fenêtre comme seul élément du décor.
En 1913, Chagall représente une fenêtre pleine de couleurs. Les couleurs nationales envahissent le tableau. La fenêtre fait écho au drapeau. Serait-ce le drapeau de la peinture ?
Juan Gris propose une fenêtre traitée selon les règles cubistes. Le paysage se prolonge sur les battants mêlant ainsi le paysage à celle-ci.
Autre peinture de Juan Gris, la fenêtre est un objet à peindre au même titre que le pot et le journal.
Magritte représente des fenêtres où la question du visible est soumise à une dialectique saisissante. Qu’est-ce qui est réel ? Fenêtre ou tableau ?
Hopper en 1952 représente une jeune femme méditant sur son lit face à une fenêtre. L’ambiance caractéristique des tableaux de Hopper est irradiée par la lumière.
Dali dans Nature morte vivante représente lui aussi une grande fenêtre où on voit la mer dénaturée. Un drapeau français compose la toile avec le bleu de la mer, le blanc de la nappe ainsi que le rouge.
Pablo Picasso met en abyme la fenêtre dans sa toile. Une succession de cadres recadrent l’image
Dans Claude dessinant Françoise et Paloma, Picasso représente une ouverture blanche. La page sur la table est également éclatante. On remarquera que Paloma est représentée avec des contours blancs. Cette peinture est un « dessin de lumière » soit une belle réflexion sur la photographie.
Marcel Duchamp quant à lui construit une vraie fenêtre aux vitres noires. Elle n’ouvre plus sur le monde et l’artiste propose un jeu de mot « fresh widow » voulant dire « veuve fraîche » et « fresh window » « fenêtre fraîche ».
» 1920, Marcel Duchamp réalise ce qu’il appelle un « semi-ready-made » : une réplique miniature (77 x 45 cm) d’une fenêtre « à la française », le terme désignant pour les Américains une fenêtre à battants. Les montants sont construits par un menuisier, puis peints en bleu. Duchamp appose sur chacun des huit carreaux des morceaux de cuir noir. La fenêtre est placée sur une tablette en bois sur laquelle on peut lire l’inscription : FRESH WIDOW COPYRIGHT ROSE SELAVY 1920 . » Une vie de setter. La veuve est aussi une manière de qualifier la guillotine. Le regard sur le monde dans l’art serait-il mis à mort par Duchamp ?
Fenêtre ouverte, fenêtre brisée – Ellsworth Kelly:
« En octobre 1949 au musée d’Art moderne, à Paris, je m’aperçus que les grandes fenêtres entre les tableaux m’intéressaient plus que l’art qui y était exposé. Je fis un dessin d’une fenêtre et, plus tard, dans mon atelier, je réalisai ce que je considère comme mon premier objet, Window, Museum of Modern Art, Paris. À partir de ce moment, la peinture telle que je l’avais connue était finie pour moi […]. Partout où je regardais, tout ce que je voyais devenait quelque chose à faire (something to be made), et il fallait que ce soit fait à l’identique, sans rien ajouter. C’était une nouvelle liberté : il n’y avait plus besoin de composer. Le sujet était déjà là, tout fait (already made), et je pouvais me servir partout. Tout m’appartenait : la verrière d’une usine dont on a remplacé les carreaux brisés, les lignes d’une carte routière, un fragment du Pavillon suisse de Le Corbusier, le coin d’un tableau de Braque, des bouts de papier dans la rue. »
Markus Raetz, Tag oder Narcht (Jour ou nuit), 1998, Graphisch Sammlung der ETH, Zürich © 2013, ProLitteris Zurich
Christina Lucas dans son installation à Séville, montre une femme géante à la fenêtre. On pourrait voir dans cette installation une illustration d’Alice au pays des merveilles.
Delphine Gigoux Martin dans Du danger de se regarder dans une flaque d’eau met en scène des fenêtres suspendues dans le vide avec leur ombre portée se projetant sur les murs où sont tracés des dessins. Une autre vision de la célèbre phrase d’Alberti.
Stéphanie Majoral photographie un détail d’un oeil où se reflète une fenêtre.
Jack Vanarsky dans son oeuvre Porte montre une porte fenêtre avec des mains tout autour. La fenêtre devient un corps.
« La fenêtre de mon atelier », vers 1940-1954 de Josef SUDEK – Courtesy Jeu de Paume © Photo Eric Simon
Chiharu Shiota construit des maisons avec des fenêtres qu’elle installe dans les musées.
Le land art avec Goldsworthy propose des fenêtres naturelles installées dans la nature. L’artiste recadre le paysage avec elles.
N’oublions pas le cinéma avec Fenêtre sur cour d’Hitchcock avec ce film où la fenêtre joue le rôle principal: la fenêtre est un écran dans l’écran.
La fenêtre est un sujet riche dans l’histoire de l’art car elle permet aux peintres et cinéastes d’interroger le visible. La fenêtre devient la métaphore de leur médium. Ouverte ou fermée c’est un regard sur l’art que les artistes proposent. Duchamp signe la mort de l’art avec la sienne tandis qu’elle devient un matériau chez Chiharu Shiota.
Platisque et symbolique, la fenêtre n’a pas encore fini de s’ouvrir et de se refermer dans l’art d’aujourd’hui.
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Comment monter une séquence en partant des oeuvres d’art ?
Il n’est pas interdit de partir des oeuvres d’art pour monter une séquence. Mais celles-ci doivent être nombreuses et ne pas se limiter à une seule. Trouver des « familles » d’oeuvres traitant d’un même sujet où des notions sont exploitées différemment est un bon départ. Une seule référence vous amènera à construire une séquence modélisante ce qui n’est pas conseillé dans les programmes.
Voici un TD qui vous donnera la méthode pour construire vos séquences.
Vous pouvez télécharger le document ici :
les-motifs fichier docx
les-motifs fichier pdf
Takashi Murakami
Yayoi Kusama
Jean Dubuffet
Keith Haring
La Mosquée de Cordoue
Ben Vautier
Barbara Kruger
Tetar, street art
Construction d’une séquence à partir d’œuvres d’art |
-Cherchez le cycle qui pourrait être concerné par ces productions artistiques. |
-Trouvez les entrées du programme permettant de mettre en place une séquence à partir de ces oeuvres. |
-Définissez l’objectif de votre séquence et le niveau |
-Cherchez les notions et les constituants plastiques à l’œuvre dans ces œuvres d’art ? |
-Construisez votre séquence à partir de ces œuvres : nombre de séances et consignes. |
-Proposez des questions à poser aux élèves lors de la mise en commun pour analyser ces œuvres d’art |
-Proposez une évaluation pour cette séquence SCC |
-Travail pratique : testez votre séquence en réalisant un exemple de production d’élève. |
Travaux des étudiants:
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Quand on étudie les différentes époques de l’histoire de l’art, on est frappé de constater que les artistes n’ont eu de cesse de bousculer les codes et règles plastiques qui pendant longtemps ont « formaté » l’horizon artistique. La peinture par exemple lisse et parfaite de la période classique est petit à petit montée à la surface de la toile pour ne montrer finalement que son corps dans le visible. La peinture se fait chair quand on regarde l’évolution qui l’a traversée.
Cet article montre quelques aspects de cette odyssée mais est en aucun cas exhaustif. Le but n’est pas de faire une liste complète des révolutions plastiques. L’enjeu est ailleurs.
L’oeuvre d’art autrefois répartie selon des catégories fixes et bien déterminées a cherché à éclater ces normes jugées trop subjectives. Les avant-gardes du XXème siècle en relatent l’épopée. L’art veut se rapprocher de la réalité, du visible afin de se rapprocher du spectateur. Celui-ci avec l’art numérique devient le coeur de la réalité de ces oeuvres dont il maîtrise en partie les contours.
L’art dans cette aventure singulière réduit la frontière séparant l’artiste de son public. Curieusement, celui-ci n’adhère pas forcément à ces nouveaux concepts. Comment se fait-il que les artistes pourtant conscients de la limite les séparant du public rencontrent une telle mauvaise presse ?
Quand on tape « art contemporain citation » dans un moteur de recherche, on tombe sur cette première citation qui résume bien la pensée d’une grande majorité de personnes: « “Pourquoi construire des déchetteries quand les musées d’art contemporain font l’affaire ?”
« Je trouve ça incroyable qu’un artiste mette un monopole sur la couleur comme c’est le cas d’Yves Klein » s’exclame l’un. On peut se demander pourquoi ce fait choque dans le monde de l’art et non dans celui du commerce. De même, quand on relate à ces derniers que dans bien des entreprises le secret est présent dans leurs contrats de travail, ce fait ne les choque pas. Pourquoi l’art ne pourrait-il pas avoir des règles de respect en matière de création autant que les entreprises privées ? Comme si la réalité du commerce était une fois pour toutes entérinée et que rien ne pouvait venir la perturber…
On n’est pas heurté quand un musicien déclare sa musique à la SACEM, quand un DJ déclare ses arrangements également. Pourquoi le monde de l’art qui se voit est-il frappé d’une telle interdiction ? Comme si ce qui peut être touché était finalement admis comme appartenant au bien commun.
Jean-Baptiste Dubos confère à la musique ce pouvoir de faire accéder au sublime : ce que la peinture ne peut pas. Il y a une idée toute faite, un préjugé tenace qui est encore au coeur de nos représentations déclarant d’une certaine manière que le son est bien plus intrusif dans le corps que la vue. Cette dernière agirait malgré nous alors que l’ouÎe serait plus de l’ordre de la volonté. La musique a fait partie du quadrivium et non les arts plastiques.
Je tiens ici à prendre parti pour l’art contemporain malgré les réserves que je rencontre ici et là. Il ne fait pas bonne presse de prendre une telle position. L’art contemporain est né d’une volonté de démocratiser ce qui était le privilège des classes bien pensantes. » Le role social du peintre ? Montrer la beauté du monde pour inciter les hommes à le protéger et éviter qu’il ne se défasse. « Martial Raysse. Aujourd’hui alors que des municipalités d’une certaine tendance censurent des oeuvres contemporaines et que nous ne sommes pas à l’abri des pensées réactionnaires et même au delà, il me semble important d’affirmer la nécessité de protéger cette merveilleuse aventure de l’art contemporain. Certes, il n’est pas facile de séparer le bon grain de l’ivraie. Mais comment faire ?
Dans les références artistiques que nous proposons à nos élèves, nous éducateurs et penseurs, il est important de bien choisir ce que nous montrons aux élèves. De bien les présenter également. C’est cette jeunesse que nous formons qui sera aux commandes dans le monde de demain. Et c’est avec une certaine inquiétude que je constate combien plus nos étudiants prennent de l’âge, plus ils sont rétifs à l’art contemporain. Sommes-nous certains d’avoir bien choisi nos références?
Il ne s’agit pas de montrer par exemple du Jeff Koons à toutes les séances mais de trouver des oeuvres profondes et signifiantes pour les élèves. Par quoi sont-ils préoccupés ? Ne nous revient-il pas également, à travers ce que nous transmettons, de mettre en scène dans nos échanges avec les élèves la substance des oeuvres que nous projetons ?
Mais pour comprendre l’aventure de l’art contemporain, rien de mieux que la comparaison des oeuvres entre elles à travers quelques exemples.
Voici une oeuvre de Poussin et une de Miguel Barcelo:
Poussin. Renaud et Armide (1624-25)
La peinture au départ figurative et lisse prend du volume avec Barcelo où elle s’affiche pour elle-même dans sa matérialité pure. Certes les peintres contemporains n’ont pas abandonné les factures lisses mais cette incarnation de la peinture en elle-même est un aspect spectaculaire dans l’art contemporain.
La sculpture figurative avec Canova atteint son paroxysme dans Amour et Psyché. Le vide dans la pierre pénètre l’oeuvre de manière paroxystique. Calder, dans ses mobiles compose avec le vide avec l’air comme moteur de son oeuvre qui bouge réellement.
Les objets qui autrefois étaient représentés dans des natures mortes sont exploités pour leurs qualités plastiques ou non. CI dessous, Arcimboldo et Bernard Pras.
Les artistes se mettent également au coeur de leur production. Yves Klein saute dans le vide, Abramovic se met en scène dans des performances, Orlan également. Le corps de l’artiste devient une oeuvre à part entière.
Avec l’art contemporain, tout potentiellement peut devenir oeuvre d’art. C’est bien cette démocratisation de l’art dont les artistes se sont emparés et à laquelle nous assistons.
Mais comment distinguer de manière pertinente les postures artistiques nouvelles ?
Une oeuvre d’art est un nouveau monde qui s’inscrit dans le présent avec une lecture du passé. Les artistes de renom en général ont un discours sur l’histoire de l’art bien ancré et tangible. L’oeuvre par exemple de Marcel Duchamp n’est compréhensible qu’à la lumière de ce qui s’est produit avant lui. C’est bien là toute sa force et sa portée.
L’odyssée de l’art est depuis le début du XXème siècle devenue exponentielle. “Toute une partie de l’art contemporain n’a pas d’autre objet que l’art lui-même.” Bourdieu.
Il y a un grand souffle créateur parmi nos artistes de maintenant. » Ce qui a vraiment un sens dans l’art, c’est la joie. Vous n’avez pas besoin de comprendre. Ce que vous voyez vous rend heureux ? Tout est la . » .Constantin Brancusi.
Certains hommes politiques veulent changer l’enseignement de l’histoire géographie avec l’idée de le concevoir comme un récit national fédérateur. Le première mesure qu’a pris Hitler a été de changer les programmes d’histoire. Que deviendra notre enseignement artistique dans ce cas ? Serons-nous considérés comme des profs « dégénérés »? L’enseignement du dessin sera-t-il rétabli avec un programme pour les garçons et un pour les filles ? Pourquoi pas revenir à des cours de couture pour ces dernières ?
Danièle Pérez.
TD suite
Comment monter une séquence en arts plastiques à partir des oeuvres d’art ?
Documents à télécharger :
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Les oeuvres:
Turner, Tempête, 1842
Van Gogh, Nuit étoilée, 1889
Jackson Pollock, Autumn rythm, 1950
Olivier Terral, paysage contemporain, 2015
Contenu du TD
Comment une oeuvre est-elle reçue par celui qui la regarde ? Comment fonctionnent les systèmes de réception des oeuvres d’art ? La réception répond-elle à des mécanismes observables et concrets ? A la lumière de la théorie de Pierce, nous allons voir comment s’articulent les trois étapes de la réception des oeuvres d’art autour des notions de priméité, de secondéité et de tiercéité. Si ces termes vous paraissent trop abscons, nous pourrons parler de premier stade, de second et troisième stade. Si nous comprenons les mécanismes de la réception des oeuvres d’art, nous pouvons comprendre ceux de sa genèse. Ainsi à la question souvent posée lorsqu’on se livre à une interprétation d’une oeuvre; « Mais êtes-vous sûr/e que c’était bien l’intention de l’artiste » sera donnée une réponse affirmative car l’art est un langage qui a ses codes et ses règles évoluant tout au long de l’histoire de l’art.
Quelques définitions importantes:
L’iconographie est l’ensemble des représentations d’un même sujet ou autour d’un même thème dans les œuvres appartenant aux arts visuels.
L’iconologie littéralement la « science des images », est une discipline associée à l’histoire, à l’histoire de l’art, à l’esthétique et à la communication, qui place les œuvres qu’elle étudie dans une perspective sociale et historique, s’interrogeant sur ses conditions de production ainsi que sur le message qu’elles étaient susceptibles de véhiculer en leur temps.
Le premier stade:
Le premier stade est celui du domaine du « possible », de l’être ressenti dans sa totalité, de l’indistinction et de l’intemporel. Je suis face à une oeuvre que je reçois, que je ressens mais je n’ai pas encore la distance nécessaire pour pouvoir l’interpréter. Elle est dans l’ordre du possible et de l’éventualité. La relation est d’une certaine manière « fusionnelle » entre l’oeuvre et moi, fusion qui peut aller jusqu’à la répulsion. Intemporalité car je ne me situe pas encore face à cette oeuvre, je ne saisis pas à la fois sa temporalité et la mienne. C’est le stade de la « vie émotionnelle ». La priméité, dit Peirce, est la conception de l’être, d’un phénomène, « indépendamment » de toute autre chose. La priméité correspond à la saisie des qualités et des émotions, mais abstraction faite de leur matérialisation. Par exemple un rouge est saisi comme rouge indépendamment du reste. Prenons le cas d’une peinture de Rohtko:
La priméité est cette toute première phase de la réception qui consiste à « recevoir » ce rouge tel quel sans commencer à se poser de questions ni à le comparer car cela nous projetterait dans le second stade. On peut dire que ce premier stade est de nature un impact qui ne se connecte pas à la pensée mais qui est reçu comme tel. Dès que nous commençons à nous poser des questions: ce rouge est-il foncé, clair, a-t-il une matière, une texture, nous nous retrouvons dans le stade suivant de la secondéité. « La priméité correspond à la saisie des qualités et des émotions, mais abstraction faite de leur matérialisation. »1. Dès que nous nous mettons à réfléchir nous passons dans la secondéité. La priméité serait de l’ordre du primal, de cette perception originelle que nous avons de chaque chose en dehors de toute causalité. La généralité de la priméité est de l’ordre du possible. C’est le stade icônique où l’image se fait corps dans le visible et ce stade s’arrête à celui-là : de l’ordre d’une simple manifestation. Il y a une forme de passivité du récepteur à ce stade. »Le premier a pour nom « description pré-iconographique » qui peut être réalisé en identifiant les événements, les objets et les formes (style). Une description de ces éléments constitue cette description pré-iconographique. »2.
Le second stade:
La secondéité est le domaine de l’action et de l’expérience vécue, où l’événement vaguement ressenti en mode de priméité est maintenant identifié distinctement comme fait empirique, fait en soi, et inscrit dans la dimension spatiotemporelle. J’ai conscience de ce qui me sépare de l’oeuvre d’art. Elle agit dans un temps et un espace différents du mien. C’est le stade de la vie active. La secondéité est la conception de l’être « relativement » à autre chose. (comparaison, classement, processus). « La secondéité est plus facile à comprendre : c’est la catégorie du réel concret, particulier, de l’expérience, du fait, de l’existence, de l’action-réaction. »3. Par exemple nous savons que si nous approchons une aiguille d’un ballon celui-ci explosera. Un autres exemple, l’examen des nuances de rouge dans le tableau de Rothko nous indique qu’il y a des rouges plus foncés que d’autres, que certains tirent vers le orange ou le jaune. Ce stade est celui de la causalité et des comparaisons. Je sais que tel rouge est plus clair que celui-là car je les compare. La secondéité est une catégorie du particulier. Je ne pense pas en général mais en fonction de cette oeuvre là. C’est le stade indiciel car l’image se connecte avec la pensée. « Le deuxième niveau correspond à l’analyse iconographique. C’est là qu’on étudie le sujet de l’oeuvre. Pour cela, il est nécessaire de mettre en relation les compositions et des concepts. »4
Le troisième stade:
La tiercéité est la catégorie de la nécessité, des lois et des règles explicatives du monde, des opérations intellectuelles et de pensée qui traduisent le réel indistinct et l’expérience sous la forme de langages, de signes, de conventions, de représentations figées, d’habitudes, donc sous forme culturelle et symbolique. Je suis capable de situer l’oeuvre dans un champ de représentations du monde (sociales, culturelles, etc) qui me servent pour l’expliquer. C’est le stade de la vie socio-culturelle. Et la tiercéité est la conception de la « médiation » par laquelle un premier et un second sont mis en relation. « La tiercéité est la catégorie de la médiation, donc de la règle, de la loi. »5. La tiercéité nous ramène vers le général mais cette fois-ci de l’ordre de la nécessité. Par exemple, la connaissance des lois de la gravité nous apprendront que chaque fois que je lâcherai un objet il tombera sur le sol. C’est le stade du symbole: la connexion est opérée avec la pensée mais en mettant en perspective tous les systèmes langagiers existants car l’art est langage. Par exemple, voir la cité idéale de PIero della Francesca au XVème siècle et reconnaître en elle le système euclidien de mise en perspective est un premier pas. Ensuite, à ce stade de la tiercéité, le récepteur l’interrogera sur ce qu’elle a de nouveau pour l’époque par rapport à l’histoire de la représentation de l’espace dans l’art. La pensée symbolique n’est que cela: mettre des images dans l’histoire de la pensée et voir comment les peintres ou artistes bouleversent les codes de leur époque et comment ils les questionnent.
Notre compréhension du réel (deuxième stade) et du possible ou de l’éventualité (premier stade) sont obligatoirement passés au crible des codes culturels et symboliques (troisième stade), ce sont des filtres qui organisent notre connaissance de l’univers qui nous permettent de l’interpréter. A ce troisième stade, par exemple concernant Rothko ou PIero della Francesca, il sera nécessaire de s’interroger sur l’utilisation du rouge dans l’histoire de l’art et pour l’autre d’étudier les différentes techniques de représentation de l’espace pour comprendre si ce sont des artistes ou non. Une oeuvre qui n’interroge pas cette phase symbolique n’est pas une oeuvre d’art mais une simple proposition plastique. « Pour qu’un objet puisse fonctionner comme œuvre d’art, il faut qu’il soit mis entre guillemets (c’est-à-dire qu’on le considère comme une autre réalité). »6. La réception de l’oeuvre d’art est toute autre: le récepteur se pose la question de la genèse de l’oeuvre et retrouve les différentes étapes de réalisation. Il y a une véritable communion de pensée entre celle de l’artiste et celle du récepteur: « un acte réel et situé de compréhension, un idéal d’adhésion maximale au plein potentiel de l’œuvre ».7. « Une œuvre est auto-adéquate lorsqu’elle se présente elle-même comme un sentiment raisonnable, lorsqu’elle rend intelligible une qualité de sentiment synthétisée »8. »Le troisième niveau correspond à une analyse iconologique, c’est-à-dire la signification interne de l’oeuvre (remise dans le contexte, etc.). »9. Par exemple, pour faire suite à l’oeuvre de Piero della Francesca, les peintures cubistes proposent un autre système de représentation de l’espace. Le cubisme bouleverse les codes existants à l’époque et fonctionnant comme unique référence: une représentation illusionniste du monde d’après les règles de la perspective à point de fuite. Le cubisme renverse les code en proposant de représenter toutes les faces d’un même objet sur un même plan. Compotier et cartes, par Georges Braque. On ne peut pas comprendre la peinture cubiste sans connaître l’art égyptien, la période byzantine et la perspective euclidienne entre autres. C’est ce qui fait la force d’une oeuvre d’art: la proposition de nouveaux codes remplaçants les anciens.
Du côté de l’artiste:
-L’artiste ressent un trouble provoqué par un chaos de sentiments. (Priméité)
-Il laisse venir ces sentiments et essaie de les capter. Il émet l’hypothèse que ces qualités sont appropriées sans savoir précisément où les projeter: il ne sait pas précisément à quel objet elles sont appropriées.
-Par déduction il va projeter ces qualités dans son oeuvre, dans un objet adapté. Il crée ainsi son propre référent ce qui fait qu’une oeuvre est auto-référentielle. (tiercéité) Si l’artiste juge que l’intention originelle est adéquate à son objet, il déclare son objet comme oeuvre d’art. Elle est terminée. « Le résultat du travail de l’artiste est un objet ou un événement particulier, dans lequel la priméité prend « existence », se matérialise dans une secondéité. Cet objet ou cet événement est un signe, donc une tiercéité, qui demande à être interprété. L’artiste lui-même est le premier interprète de son œuvre lors de la dernière étape de la production. »10
Il est intéressant de se rappeler la citation de Kant, philosophe des Lumières qui a écrit dans La critique de la Raison pure : « toute forme de notre connaissance commence par les sens, passe par delà à l’entendement et s’achève dans la raison. ». A méditer !
Pour bien interpréter une oeuvre d’art rien de plus efficace quand on est démuni de la décrire comme si on s’adressait à une personne privée de la vue.
Pour compléter cet article, un autre sur l’analyse des oeuvres d’art avec des conseils très utiles pour mener les approches vues par l’Académie de Grenoble: télécharger le document PDF : analyse_oeuvres_d_art
Un petit article sur l’escalier dans l’art.
Léonard de Vinci a dessiné l’escalier du Château de Chambord qui a la particularité d’être à deux révolutions: ceux qui montent ne croisent pas ceux qui descendent.
Etude de Leonardo da Vinci pour un escalier à quatre volées.
Madonna alla Scala, vers 1491, par Michel-Ange (1475-1564)
Casa Buonarroti, Florence.
Piranese grave en 1745 les escaliers d’une prison imaginaire. L’image est très graphique. Le monde est sombre et clos, on peut voir des barreaux, des voûtes monumentales, des passerelles, des gibets, des escaliers vides, des roues gigantesques. Cet espace peu amène peut faire songer à la torture.
Escher représente des escaliers dans une perspective impossible. On peut se demander si Escher n’a pas été influencé par les gravures de PIranese.
Marcel Duchamp, peint Nu descendant un escalier. On voit le mouvement décomposé d’un homme descendant un escalier.
Salvador Dali peint son Nu montant un escalier
Fernand Léger, Escalier, 1914
Picasso dans Les Ménines compose son tableau autour d’un escalier central. Les tableaux sont placés comme des marches d’un escalier en colimaçon.
Robert Doisneau,
Cartier Bresson
Brassai, chien dans l’escalier
Un escalier recouvert de crochet
Shannon Bool Pub Stair Carpet, 2010 Laine 79 x 385 cm Vue de l’installation Avec l’aimable autorisation de la Galerie Kadel Willborn Photo : Tobias Hübel
Anish Kapoor,
Balint Alovits, photographe d’escaliers, artiste hongrois
L’escalier dans le street art
Le «Vessel» est un assemblage spectaculaire de 150 escaliers extérieurs grimpant en paliers jusqu’à une hauteur de 15 étages.
Escaliers au design intéressant:
Attention, ne tombez pas dans l’escalier !
Il est intéressant de remarquer que les nouvelles technologies nous offrent la possibilité de faire des photos de plus en plus nettes et précises. Que cherchons-nous dans cette escalade du visible ? Une hyper acuité qui se rapprocherait de celle du divin ? Sommes-nous à ce point aveugles pour ne pas voir distinctement la réalité ? Une rapide étude du détail dans l’art nous permettra peut-être de comprendre ce que nous cherchons dans ce rapport « animal » presque à l’image.
Le détail est cette infime partie d’un tout qui, une fois vue, peut changer le sens de l’oeuvre. Le détail c’est aussi, comme son étymologie l’indique, une « coupure » dans le tableau, une entaille dans la toile. Le détail c’est aussi une nouvelle histoire s’inscrivant dans la peinture comme un tout cohérent. Nous sommes tous en quête d’un détail oublié des exégètes lorsque nous croisons des oeuvres d’art. Subtil, discret ou parfois évident, le détail semble interroger la narration picturale. Le détail scande la poésie du visible, il est chant de la marge et des recoins, du ténu et du fragile. Le détail est, une fois surpris, irréversible, il bouleverse tout avec son apparition soudaine. Il n’est pas fait pour être pris dès le premier coup d’oeil. Les artistes les organisent pour qu’ils interviennent parfois avec retard « sur » image. Ils peuvent être considérés comme des oeuvres dans les oeuvres, des oeuvres à part entière.
« De l’ancien français detail, issu de detaillier, composé de de- et de taillier (« couper »). »Partage d’une chose en plusieurs parties, en morceaux. Le détail d’un quartier de viande. Partie particulièrement remarquable d’un ensemble. »
C’est à la lumière de quelques oeuvres interrogeant le détail que nous verrons comment celui-ci s’est immiscé dans le paysage artistique.
Giovanni Santi, représente au XVème siècle un Christ avec une mouche sur le torse. Ce détail incongru bouleverse le sérieux, le côté tragique de la scène.
Cette mouche peut être interprétée de différentes façons. Elle peut signifier l’éphémérité de la vie, la condition humaine.
Vasari dans «Les Vies des meilleurs peintres, sculpteur et architectes rapporte une anecdote relative à Giotto : « Giotto dans sa jeunesse, peignit un jour de manière si frappante une mouche sur le nez d’une figure commencée par Cimabue que ce maître, en se remettant au travail, essaya plusieurs fois de la chasser avec la main avant de s’apercevoir de sa méprise ». La mouche incarnerait la force mimétique, son authenticité, sa gloire.
« …il suffit pour l’instant de souligner que cette conquête du détail se marque entre autres par le fait qu’un même détail – une mouche – peut avoir plusieurs sens dans un même tableau, et qu’il peut acquérir une histoire propre au cours de laquelle son sens peut demeurer aussi variable qu’incertain… » Daniel Arasse – Le détail – Flammarion, page 126.
Avec la Chute d’Icare de Breughel, le sujet du tableau est bouleversé une fois le détail reconnu. Il ne s’agit plus d’un simple paysage mais d’une scène dramatique.
Plus tard, avec Géricault, les fragments deviennent le sujet du tableau. Etude de pieds et de main, 1818-1819, huile sur toile,
L’art contemporain apporte sa nouvelle vision du détail Opalka écrit une suite de nombre qu’il nomme « détails ». Le chiffre est un détail du nombre, ce même nombre un détail d’une suite égrenant le temps. Belle mise en abyme.
Puis Lucio Fontana lacère ses toiles, détail littéralement mis en scène.
Trop de détails freinent le visible et son immédiateté. Ainsi, Gérôme Bosch peint des scènes avec des milliers de détails tous aussi importants les uns que les autres. Mais il est impossible de coaguler le visible dans un tout cohérent. Tout semble vibrer au rythme des détails parcourant le tableau. Le fourmillement de la vie traverse la scène.
Dans l’art contemporain, le statut du détail peut également changer la perception de l’image.
Shan-Shui-industrial-pollution , cette image change de sens si on l’agrandit avec la loupe. Ce que nous prenons pour être des montagnes est en fait … à vous de voir ! Belle réflexion sur la pollution spatiale.
Le détail a une force exceptionnelle. Petit et quasi imperceptible, il change radicalement le sens de l’oeuvre. Inversement proportionnel à sa portée, il prend le risque de nous échapper. C’est un indicateur de notre capacité à voir, à scruter, à pénétrer dans les images.
“Les détails font la perfection, et la perfection n’est pas un détail.” Léonard de Vinci. L’artiste pose ici le statut du détail face au tout. Pour la perfection, la beauté, le détail a son importance mais il ne doit pas l’emporter sur le tout.
La mouche par exemple nous renvoie à l’impureté de ce monde. Elle est laide et semble avoir conditionné le statut du détail dans les représentations du laid.
“Nous devrions garder la couleur de la vie, mais ne jamais nous souvenir des détails. Les détails sont toujours vulgaires.” Oscar Wilde.
Ghirlandaio représente un vieillard avec un enfant. Le personnage âgé est recouvert de détails saillants tandis que le jeune garçon est représenté de manière plus idéalisée. Le détail est ici le corollaire de l’âge, de la vieillesse. Plus on grandit, plus on acquiert des détails peu seyants semble nous révéler l’artiste. Mais la communion est telle entre les deux protagonistes que la situation semble se renverser: plus on vieillit, plus on est à même de lire les détails de la vie. “Malheur aux détails, la postérité les néglige tous.”: Voltaire.
Picasso disait « L’art est l’élimination de l’inutile. ». Le détail semble être un intrus dans la pensée de l’artiste. Pourtant dans Guernica, la toile est parcourue par des détails importants comme la fleur dans la main du gisant annonçant un renouveau.
Pendant longtemps la peinture flamande fut dénigrée par les historiens à cause du statut du détail ? Comme l’écrivait Vasari : « Gossaert fut le premier, ou presque, à rapporter d’Italie dans les Flandres la véritable méthode par laquelle on représente le nu et les scènes mythologiques ». Le véritable art serait d’essence italienne. Il serait intéressant d’étudier le statut du détail dans les deux contrées pour comprendre leur impact dans l’histoire et comment celle-ci a ignoré les peintres du Nord à cause de leur aptitude à insérer des quantités de détails dans leurs oeuvres. L’esprit synthétique serait-il toujours considéré comme supérieur à l’esprit analytique ?
« Je n’ai jamais trouvé quelque chose qui manquait dans une toile floue. Au contraire, vous pouvez y voir beaucoup plus de choses que dans un tableau exécuté avec une extrême netteté. Un paysage peint dans le moindre détail vous force à voir un nombre déterminé d’arbres, clairement différenciés tandis que, dans une toile floue, vous pouvez percevoir autant d’arbres que vous voulez. La peinture est plus ouverte. » Gerard Richter
Il est vrai qu’un détail délimite le visible. Il la circonscrit. Mais n’est-ce pas également une poétique du regard à laquelle le détail nous convie ?
Alpen II Les Alpes II 1968 200 cm x 450 cm Catalogue Raisonné: 21 Huile sur toile, Gerard Richter
Il est intéressant de remarquer dans cette toile que Richter nous invite plus précisément à regarder les détails picturaux par rapport aux détails iconiques.
En effet, il semblerait que les détails figuratifs soient incompatibles avec le détail pictural. Ce dernier pour se déployer dans toute sa matérialité nécessite de faire abstraction du détail iconique. L’hyperréalisme est souvent le corollaire d’une peinture lisse et nette.
« Cette image du célèbre acteur n’est pas une photo – c’est un portrait réalisé au doigt tiré avec un iPad. L’artiste a utilisé le logiciel Procreate et le talentueux illustrateur et peintre à l’huile, Kyle Lambert, a passé plus de 200 heures et a fait plus de 285 000 coups de doigts pour créer ce portrait hyperréaliste. » Rien ne vient perturber l’image hyper nette de cet acteur. Il y a comme une exponentielle disparition de la facture dans cette volonté de coller au plus près du réel.
Le détail serait-il dévorateur de l’image ? Le détail serait-il d’une certaine manière et de façon paradoxale un effacement de toute facture artistique ou plastique ? Que recherchent les artistes dans cet affichage presque intrusif du détail ? Une pulsion de la vision atteignant son paroxysme ? Le détail serait-il la négation du style, de la « patte », de toute forme d’idéal, de la beauté ?
Sommes-nous encore pétris de certains préjugés qui associent le détail à une forme de voyeurisme ?
Le ténu peut être source de poésie du visible.
Il est intéressant de remarquer que les industriels de l’amour adoptent sans retenue des visions nettes et précises où le détail absorbe la vision ordinaire dans un engouffrement du visible où l’accident est un tourbillon.
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L’infini dans l’art connaît plusieurs formes. Allié aux mathématiques c’est sous celle du ruban sans fin de Möbius qu’il trouve une expression plus adéquate.
Pythagore a pensé que tout pouvait être exprimé en termes de rapports de nombres entiers, Le nombre d’or en est une illustration: manifestation de l’harmonie du divin dans l’ordre du visible.
Dans l’art de l’Islam, où règne l’interdit de la figuration, l’infini est souvent au coeur des compositions.
Les entrelacs sont également une représentation de l’infini. En peinture, les entrelacs sont des sortes de rubans enchevêtrés se répétant de nombreuses fois pour suggérer l’infini. Les croisements peuvent se suivre du regard comme une forme labyrinthique. « C’est le symbole du mouvement sans fin de l’évolution et de l’involution. C’est le principe cyclique qui se régénère par lui-même et en lui-même. Aucun centre unique existe car les entrelacs sont basés sur le principe de l’infini en constante expansion et contraction. »1
Grande Mosquée de Kairouan
A la Renaissance, c’est sous la forme de paysages sans fin que l’infini se déploie. La perspective est réduction infinie de l’espace en un point: le point de fuite.
Piero della Francesca, Cité idéale
La Joconde, Léonard de Vinci. La perspective aérienne permet de représenter l’horizon éloigné métaphore de l’infini.
Escher représente des espaces sans fin.
Au XXème, l’infini devient le sujet de l’oeuvre avec Brancusi.
Colonne sans fin, Brancusi
KOGLER Peter (né en 1959), Chaos, 1996,
David McCracken, escalier qui se réduit petit à petit et qui donne l’impression de monter vers l’infini
Aase Texmon Rygh
Keizo Ushio, Ruban de Möbius, Granite, 2 mètres. (Mihama, Japon, 1990)
“Moebius in Space Planet”, à « Sculpture by the Sea » ( Bondi, Australie, 2011)
Max Bill, ruban sans fin
Paul Griot: il est intéressant de remarquer chez cet artiste que la matérialité s’est emparée de ce symbole affichant une texture singulière.
Robert R Wilson
Vito Acconci
Junichiro Ishii : « Rue de l’Infinité » – 2007
Chambliss Giobbi, un ruban sans fin avec des voitures miniatures
La mise en abyme est aussi une expression de l’infini
La publicité met en scène l’infini avec cette technique
Rappelons aussi que Google, le nom de l’entreprise, vient de « googol », prononcé de manière déformée, d’un mot d’enfant chargé d’évoquer la quantité quasi infinie d’informations qui se trouvent sur la Toile.
Les fractales enfin sont également une représentation des deux infinis.
« L’Algorithme de Babel » – impression numérique sous plexiglas – 105 cm x 40 cm – 2010
« L’Algorithme de Babel – autrement dit la méthode, le processus établi par Jean-Claude Meynard pour créer ses différentes déclinaisons de Babel – est la fractalisation de la silhouette humaine, sa démultiplication : l’homme-graphe se déploie comme une séquence d’écriture, une sorte de code génétique qui donne, en soi, une figuration de l’infini. »2
« Le Cube » – impression numérique sous plexiglas
90 cm x 120cm – 2003 « Ce cube fractal est fait de cubes qui se répètent – micro/macro – à l’infini et qui s’encastrent les uns dans les autres à la manière des poupées russes ».2
La célèbre vague d’Hokusai est à rapprocher des fractales. La grande vague est constituée de petites vaguelettes.
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La vision apocalyptique dans l’art remonte aux représentations de l’enfer entre autres. Le Moyen-âge est une période florissante pour ce genre de représentations. La plupart des religions admettent l’existence d’esprits démoniaques ou malfaisants mais le diable reste une création du christianisme.
Raoul Glaber est le premier, au début du XIe siècle, à décrire le diable issu d’un de ses songes comme un « être de petite taille, la peau ridée, un visage difforme, le crâne allongé avec un museau de chien et des oreilles hérissées, une barbe de bouc, des griffes, les cheveux sales et raides, les dents d’un chien, une bosse sur le dos, les fesses pendantes, les vêtements malpropres. » Wikipédia
Il écrit comme une sorte de témoignage de sa rencontre avec le diable pour donner plus de crédit à ses propos: » Une nuit se dresse devant moi une sorte de monstre terrible à voir. De petite taille, il avait le cou grèle, le visage maigre, des yeux très noirs, le front rugueux et ridé, les narines pincées, la bouche énorme, les lèvres gonflées, le menton fuyant, une barbe de bouc, des oreilles velues et pointues, les cheveux hérissés et des dents de chien, le crâne aplati, la poitrine gonflée, le dos bossu. »
Plus tard, Colette écrit un passage sur le diable : « Je suis le diable. Le diable. Personne n’en doit douter. Il n’y a qu’à me voir, d’ailleurs. regardez-moi, si vous l’osez ! Noir, d’un noir roussi par les feux de la géhenne. Les yeux vert poison, veinés de brun, comme la fleur de la jusquiame. J’ai des cornes de poils blancs, raides, qui fusent hors de mes oreilles, et des griffes, des griffes, des griffes. Combien de griffes ? Je ne sais pas. Cent mille, peut-être. J’ai une queue plantée de travers, maigre, mobile, impérieuse, expressive – pour tout dire, diabolique. Je suis le diable, et je vais commencer mes diableries sous la lune montante, parmi l’herbe bleue et les roses violacées… Gardez-vous, si je chante trop haut cette nuit, de mettre le nez à la fenêtre : vous pourriez mourir soudain de me voir, sur le faîte du toit, assis tout noir au centre de la lune !… »
« Lucifer vient du latin lux qui signifie « lumière », et de ferre qui signifie « porter ». Il est donc étymologiquement le « porteur de la lumière », !
Méphistophélès pourrait découler des formes latines mephiticus et mephitis qui renvoient à une « exhalation pestilentielle ».
Belzébuth a une étymologie plus complexe, orientale, et renverrait à une divinité païenne, qui serait le seigneur des mouches. ».1
Il est intéressant de remarquer dans les représentations de l’enfer et du diable jusqu’au XVème siècle que la peur de la dévoration domine. Peur d’être englouti par une horrible créature mi homme mi animale. La bouche est démoniaque car elle mange, avale, régurgite. Souvent, les orifices du diable sont représentés de manière très crue presque obscène. C’est cette fonction de la bouche qui hante l’esprit des artistes. Bouche qui par ailleurs sait chanter et parler. On peut en déduire que le divin ne mange pas, besoin animal de l’homme. Pourtant c’est à cette même période que commenceront à se fixer les arts de la table donnant lieu également à bien des représentations, des nouvelles codifications.
La gueule des Enfers, enluminure du Maître de la Cité des Dames,début XVème siècle © BnF. La gueule du diable remplit la totalité de la surface de la page. La composition est originale pour l’époque.
La British Library conserve ce Psautier d’Henri de Blois. La gueule du monstre est béante et engouffre tous les damnés.
Giotto di Bondone à la Chapelle Scrovegni, à Padoue de 1306. Le diable est bleuté et dévore les humains à pleine gueule. Il a des cornes effrayantes. Dans l’image règne le chaos.
Livre d’heures de Catherine de Clèves, vers 1440. Un feu infernal semble comme sortir de la gueule du monstre.
Les frères de Limburg mettent en scène l’enfer dans cette enluminure où les diables ailés torturent les hommes de manière effrayante. Les détails sont précis pour montrer la nature des supplices et faire ainsi peur aux croyants. Ce qui est remarquable dans cette composition c’est le déséquilibre: Les soufflets qui ravivent le feu sont obliques. Le lit du diable est mis en perspective ce qui ajoute des obliques à la scène.
Van Eyck lui aussi représente cet épisode tragiqueL Le diptyque montre la crucifixion à gauche et l’enfer dans la partie inférieure de droite. Celui-ci montre une mélasse de corps entassés les uns sur les autres. Le but de ces représentations est d’effrayer, de condamner les pécheurs.
Fra Angelico, Le jugement dernier,. On voit que l’image est composée d’une série de vignettes donc chacune relate un supplice de l’enfer.
Rogier Van Der Weyden Le retable du jugement dernier 1445-49. Le retable est composé de 9 panneaux lui même structuré selon trois niveaux: de l’enfer au paradis. Ce retable était installé auprès de malades qui reprenaient espoir quand le polyptyque était ouvert avec ses couleurs vives et chaudes.
Michel-Ange, 1541 la fresque du Jugement dernier da la chapelle Sixtine au Vatican.
Le Jugement dernier, Jérôme Bosch, après 1482
Marteen de Vos : Jugement dernier ; 1570 – 263 x 262 cm, la composition d’ensemble est beaucoup moins statique, le mouvement savamment orchestré.
Rubens, la composition est encore plus torturée.
« La Révolution française, parce qu’elle est ressentie comme une entreprise du malin, aurait contribué à réhabiliter Satan dans certains milieux catholiques. »2
Au XIXème siècle, dans l’imagerie populaire, le diable est à nouveau présent.
Avec Gustave Doré, la composition est circulaire. La gravure met en scène l’architecture de la Divine Comédie.
Gustave Doré, illustration pour le chant XXX du Paradis.
Auguste Rodin sculpte les portes de l’enfer, oeuvre qu’il retouchera jusqu’à sa mort. Les corps sont représentés en mouvement dans un état de crispation inouï.
Avec les Lumières, ces représentations se font plus rares. La fin du monde semble moins préoccuper les artistes. Le culte du progrès et les valeurs humanistes prennent le relais. La notion de péché originel se fait plus silencieuse.
Au XXème siècle, la représentation d’Escher est presque minimaliste. Purement géométrique.
Kandinsky offre une vision abstraite de l’enfer en 1912.
Mais les deux guerres mondiales ont donné un nouveau souffle à ces représentations de l’enfer sur terre cette fois-ci comme étant l’oeuvre des hommes et non de la volonté divine.
Explosion (1917), de Grosz, ou la promesse, pour l’humanité
La deuxième guerre mondiale frappe les artistes qui mettent en scène les visions d’horreur bien réelles cette fois.
George Grosz : Caïn ou Hitler en enfer 1944
Dustin Yellin dans Ten parts représente une fin apocalyptique de l’humanité.
Christian Boltanski présente une installation apocalyptique au Grand Palais. Personnes peut faire songer à une vision de l’enfer avec cette grosse pince qui soulève et jette des vêtements comme une pesée des âmes.
SELF-PORTRAIT AS MARY MAGDALENE HAVING A VISION OF THE APOCALYPSE, WATERCOLOR AND PEN ON PAPER, 20 X 28 IN, CREDITS TO THE ARTIST.
Keith Haring lui aussi propose sa version du mariage du ciel et de l’enfer.
Keith Haring, The Marriage of Heaven and Hell (1984)
Juin 2010, Apocalypse selon Saint Nicolas Gabi Jimenez
La vision apocalyptique présente cette particularité de représenter plusieurs scènes dans un même plan. Les compositions sont souvent très bien orchestrées. L’abondance des détails confère une sorte de crédibilité à l’image. Il faut que celle-ci soit pleine et bien remplie. La difficulté consiste à donner une image d’un tout dans le chaos. De faire une composition homogène avec de l’épars et du différent.
«Le monde est vieux, le monde succombe, le monde est déjà haletant de vétusté (…), car Dieu n’a fait pour toi qu’un monde périssable et tu es toi-même promis à la mort.» Saint Augustin. Dans ces images, le moindre détail doit être soumis à la loi apocalyptique. Il serait intéressant de compulser toutes les oeuvres contemporaines tournant autour de ce thème pour mieux comprendre les enjeux de demain.
Il est intéressant de remarquer que parallèlement à ces visions apocalyptiques, d’autres représentations ont vu le jour: celles de villes désertes et inhumaines comme celles de Chirico.
A l’ère du réchauffement climatique et des désastres écologiques, les implications des artistes sont de plus en plus nombreuses. Nous devrions en prendre la mesure. Nos musées ne serviront à rien dans une nature défaite, ravagée par l’irresponsabilité humaine.
La structure de la représentation de l’enfer a inspiré Kris Kuksi dans le générique de la série Black Sails.
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Son mandat arrive à son terme.
Barack Obama, qui joue à perfection avec les médias, a soigné son image tout au long de ses deux mandats.
L’image est équilibrée avec le drapeau américain à la droite du président Obama. Tout est mesuré dans ce portrait officiel jusqu’à la couleur de la peau ni trop foncée ni trop claire. Il se dégage de cette photographie une grande sérénité, une stabilité rassurante. Mais d’où viennent ces sensations ?
Si on remarque bien le drapeau à gauche de l’image, celui-ci nous apparaît flou. Il contraste fortement avec la netteté du visage du Président. Cette sérénité émane de ce contraste net/flou. Quand on agrandit la photographie, on peut compter chaque cheveu, dénombrer chaque pore de la peau. Pourtant le détail n’encombre pas l’image.
Cette présence de détails discrets et pourtant bien là, crée une proximité avec le regardeur. Barack Obama ainsi par cette photographie montre qu’il cherche à se rapprocher du peuple.
C’est l’image d’un président « net » que Barack Obama affiche dans cette photographie. Il incarne la précision, l’équilibre bienveillant avec son sourire presque paternel. Mais contrairement aux autres présidents, Barack Obama sourie légèrement tandis que les autres, Clinton, Bush, Reagan arborent un sourire beaucoup plus grand. Les dents apparaissent volontairement.
Mais Barack Obama sait sourire aussi avec une image éclatante ! C’est cette image qui est affichée actuellement à la Maison Blanche et sur son site présidentiel.
Barack Obama reprend la structure du portrait officiel de Bill Clinton, lui aussi jouant sur le net/flou.
Le prédécesseur d’Obama, Georges Bush, posait devant un drapeau déplié dont les lignes obliques occupaient une grande partie de l’image.
Mais regardons de près les cravates. Seules celles de Reagan et Obama mettent en évidence la composition de la photo. Celles de Clinton et de Bush en revanche parasitent l’image.
Il se dégage une profondeur particulière du portrait d’Obama, une profondeur à la fois humide et chaude, humide par l’iris brillant et chaude par la couleur de l’épiderme. Le regard est pénétrant à la fois sombre et lumineux.
La chemise bleu clair de Barack crée un contraste avec sa couleur de peau dorée. Ce même bleu en revanche ne met pas en valeur l’incarnat de Bill Clinton. Ce dernier dans son portrait apparaît comme « statufié ».
Pour terminer, le portrait officiel le plus étrange est celui de J.F.Kennedy. Cette peinture le montre pensif et avec la tête penchée. C’est peut-être le portrait officiel le plus poétique de tous. Réalisé par Aaron Shikler , la peinture glisse sur la toile dont on voit encore la trame. La touche est délicate et dans les camaïeux de bruns, couleur terre.
Barack Obama s’est fait réaliser un portrait en impression 3D. Les données pour parvenir à restituer son image étaient colossales. C’est une véritable prouesse technologique.
L’affiche de la campagne présidentielle de Donald Trump est un montage où le drapeau américain prend toute la place. Trump porte le drapeau. Il prend la place de la hampe. Il n’y a pas d’équilibre de la lumière frappant son visage avec celle du drapeau.
L’affiche de la campagne de Barack Obama pour son premier mandat était très sophistiquée.
Composition symétrique et centrée pour inscrire le personnage au coeur de l’image et pour une visibilité instantanée, immédiate.*Barack au premier plan, la foule en arrière-plan. Photographié en plan poitrine, plan rapproché.*Barack OBAMA photographié en contre-plongée, ce qui le grandit légèrement. Il conduit la foule vers la lumière.
*Contraste de couleurs chaudes et froides: pour mettre en valeur la couleur de sa peau.
*La lumière en dehors du cadre, source lumineuse hors-champ, irradie son visage. Il propose de guider le peuple vers la lumière.
*Le bleu: immensité du ciel à mettre en rapport avec l’immensité du territoire américain, l’image reprend les couleurs du drapeau des Etats Unis, les petits cercles, les étoiles du drapeau américain. *C’est une couleur froide. Il propose un pouvoir froid mais éclairé, adouci, plus « chaud », grâce à sa personne.
*Il esquisse un léger sourire, une expression inspirant la confiance.
*La chemise blanche pour accentuer l’effet de lumière et créer un contraste avec sa peau ; personnage de lumière présentant un programme politique « lumineux ». Il se montre comme un ange ou un prophète entouré d’un halo blanc: les nuages.
« believe », croire, terme à connotation religieuse. Affiche politique où le religieux tient une grande place.
*Le slogan est bref, « change ! » ou « le changement », parole directe, en blanc au dessus de la tête de B.O dans un cadre bleu foncé fonctionnant comme une auréole.
*La foule anonyme et sans visage, pour ne pas diviser les communautés, ni en favoriser une en particulier, est au second plan, située au niveau des oreilles de B.O. Il montre par cet effet de composition qu’il est à l’écoute du peuple clamant son nom. Il ne veut pas s’imposer mais montre que son élection est de l’ordre de l’évidence.
*Son nom, Obama, est écrit en petit, en retrait, dans la partie inférieure de l’affiche. Il ne fait pas le culte de sa personne.
Quand on compare ces deux affiches de campagne, on est saisi par l’aspect froid et autoritaire de Trump (le bleu est plus terne, le rouge également, son expression, sa posture qui évite le face à face) par rapport aux couleurs rayonnantes d’Obama.