Il existe une quantité innombrable de points de vue dans l’art. De face, de profil, de dessous ou par dessus, les oeuvres d’art parfois nous révèlent des points de vue inédits. C’est de ceux-ci qu’il sera question dans cet article. Des oeuvres déroutantes, étranges, terribles et parfois sublimes où le spectateur devient actif et où l’artiste joue avec l’effet recherché. Le choix des oeuvres présentées a été guidé par leur singularité.
« L’expression « point de vue » reçoit, dans l’usage courant, un sens très général et abstrait, synonyme d’« opinion particulière ». Or son sens premier, dont les bons écrivains tiennent toujours compte, se réfère à une expérience fondamentale. Selon la place qu’occupe l’œil d’un observateur devant un objet, se dessine une image particulière de cet objet. Est‑ce donc la place de l’œil qui constitue le point de vue ? Avant de répondre, il faut rappeler que l’expression appartient d’abord au vocabulaire technique de la perspective : elle suppose l’existence, non seulement d’un observateur et d’un objet, mais encore celle d’un tableau sur lequel l’objet est représenté. » (1)
« Les premières traces d’une idée de perspective datent du début du Magdalénien, soit 15 000 ans avant Jésus Christ. En fait, c’est surtout une idée de profondeur que le peintre recrée en étageant sa composition ou en rapetissant les objets éloignés, ou encore en utilisant les ombres et les lumières. « (2). Le point de vue est de profil.
C’est dans les fresques Egyptiennes que l’on rencontre une confrontation de points de vue double dans la représentation d’un jardin. Celui-ci est montré d’un point de vue aérien tandis que la végétation est représentée de face.
Peinture murale, 64 × 72 cm, British Museum, Londres.
La perspective était bien connue des Grecs qui s’en servaient dans l’architecture. Les colonnes des temples étaient plus larges à la base et plus fine en hauteur pour accentuer l’effet le dynamisme de leur bâtiment. Le spectateur est invité à lever les yeux au ciel et à observer le temple en contre-plongée.
L’Héphaïstéion d’Athènes, temple d’Héphaïstos et d’Athéna Ergané, l’un des temples grecs doriques les mieux conservés.
Dans l’art byzantin, l’art est hiératiquement frontal. L’image fait face au spectateur et aucune profondeur vient s’immiscer dans l’arrière-plan. Le fond d’or agit comme une barrière dans le visible mais réfléchissant : présence divine mise en scène.
Dans l’art du Moyen-âge, la perspective est abandonnée pour des vues frontales hiérarchisées en plans frontaux successifs. Le point de vue est frontal.
Manuscrit ancient, Bible de Maciejowski, moyen-âge central, Feuillet 10V, Joshua au XIIIème siècle
Toujours dans ce même manuscrit, un début de perspective est remarquable dans les bâtiments de l’arrière-plan. Les points de vues différents sont assemblés pour donner un effet de profusion.
Il faut attendre 1480 où Andrea Mantegna représente un Christ mort vu de dessous. Ses pieds blessés sont à la hauteur du visage afin d’attiser la compassion du spectateur. Ce nouveau point de vue est spectaculaire pour l’époque.
Hans Holbein en 1533 dans Les Ambassadeurs, réalise un tableau avec deux points de vue qui se téléscopent : le point de vue frontal sur les deux hommes avec l’anamorphose d’un crâne à leurs pieds.
« Ainsi les tableaux vus de trop loin et de trop près. Et il n’y a qu’un point indivisible qui soit le véritable lieu. Les autres sont trop près, trop loin, trop haut ou trop bas. La perspective l’assigne dans l’art de la peinture […] (21‑55) » Blaise Pascal, qui plus loin dans ses pensées se demande qui dans la morale l’assignera.
Andrea Pozzo propose une perspective en contre-plongée extraordinaire. ANDREA POZZO, SAINT IGNACE EN GLOIRE, 1691-1694, 36MX17M, ROME, EGLISE SANT’IGNAZIO. Le spectateur en levant les yeux participe activement à cette « élévation » sprirituelle.
En 1875, Caillebotte peint Les ponceurs de parquet avec une vue légèrement en plongée ce qui a pour effet de montrer une plus grande partie du sol.
Paris : Les Nymphéas de Claude Monet au Musée de l’Orangerie – Jardin des Tuileries – Ier | Paris la douce, expose un point de vue panoramique sur les nymphéas. Durant les années 1920, l’État français y a construit deux pièces ovales pour l’exposition permanente de ces huit peintures du bassin aux nénuphars par Monet. Ces huit compositions sont de même hauteur (2 m) mais de longueur variable (de 5,99 m à 17,00 m), réparties sur les murs. L’ensemble forme une surface d’environ 200 m2 qui en fait une des réalisations les plus monumentales du siècle. Monet a peint ces compositions pour qu’elles soient suspendues en cercle, comme si une journée ou les quatre saisons s’écoulaient devant les yeux du spectateur. (wiki). Le spectateur est littéralement plongé dans le coeur de l’oeuvre.
Le cubisme plus tardivement propose plusieurs points de vue sur un même plan. Violon et chandelier, huile sur toile, de Georges Braque en est un exemple
Dali expérimente des points de vue monumentaux sur des thèmes religieux traditionnellement représentés de manière frontale. Ascension du Christ 1958
Le Christ de Gala;, Dali
Duarte Vitoria propose un point de vue inédit sur son modèle :
Jusqu’ici, mise à part le tableau de Hans Holbein, le peintre choisissait le point de vue pour le spectateur. La relation du public à la toile se faisait de manière frontale. Avec l’anamorphose, dans l’art contemporain, c’est le regardeur qui doit parcourir l’espace environnant pour découvrir le bon point de vue de l’oeuvre peinte ou installée.
Voici un exemple avec Tom Murphy par Bernard Pras.
Georges Rousse en réalise des spectaculaires :
Felice Varini joue avec l’architecture des façades : La Villette
ou encore, à Paris
L’islande utilise l’anamorphose pour transformer ses passages piétons en 3D
le travail du street-artiste portugais Odeith n’est pas vraiment de la 3D, mais de l’anamorphose, procédé qui consiste en une déformation de l’image par un système optique. En utilisant les coins et angles des murs sur lesquels il peint, le Street-Art d’Odeith nous livre des oeuvres impressionnantes, qui semblent sortir littéralement du mur.
Wang Du reprend des photos de journaux dont il amplifie le point de vue dans des installations monumentales.
Rabih Mroué, ou le Liban vu par l’artiste, dans Double Shooting, met en scène une scène violente de tir où règnent plusieurs points de vue. Ce dernier permet de montrer le mouvement de ce tir sur le spectateur. Une installation composée de petits panneaux photographiques où un sniper met en joue le visiteur. Le point de vue coïncide avec celui du sniper.
La fragmentation du point de vue : l’installation de « Fourteen Less One » (2009/2013) de Michelangelo Pistoletto. « L’oeuvre réalisée in situ est constituée de 14 miroirs, délimités par un cadre épais, mesurant chacun 3 mètres sur 2 et brisés à coup de maillet à l’exception d’un d’entre eux, laissant un sol jonché de milliers d’éclats de verre. L’artiste joue ainsi avec le reflet d’une réalité fragmentée, erronée, à travers la représentation picturale du miroir brisé, délimité classiquement par l’imposant encadrement doré. » (3)
Robert Smithson en 1970 réalise Spiral Jetty et propose une intervention sur un site où l’oeuvre n’est visible dans son ensemble que d’un point de vue aérien.
On voit bien que ce petit point de vue, au départ enjoint à la perspective s’est libéré de son poste d’assignation dans le cadre du tableau pour devenir une quête spatiale, une question posée au regardeur qui, s’il n’est pas attentif, risque de passer à côté de lui et de ne rien voir et de se faire tirer dessus …
(1) https://journals.openedition.org/ccibp/587
(2) http://laperspective.canalblog.com/
(3) http://regardsdejanus.blog.lemonde.fr/2013/10/23/le-bling-bling-dans-lart-contemporain/
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