Pas facile de faire la différence entre une exploration et une expérimentation. Le savez-vous spontanément ? Pas moi. A la lecture des programmes officiels, on peut lire tantôt « expérimenter » ou bien alors « explorer ». Un vide sidéral englobe ces deux termes qui n’ont pas la même démarche. On y perd son latin. Dans le même article Programme d’arts plastiques au cycle 3 et 4, on passe d’un terme à l’autre sans aucun éclaircissement.
- Analyse du programme du cycle 3 :
Une entrée principale est la suivante:
« expérimenter, produire, créer »
Comment expérimenter alors que de nombreuses fois le verbe explorer vient expliquer la démarche à suivre ?
Doit-on donc partir du principe que l’expérimentation doit être la clé de voûte de nos séquences ?
L’exploration est le fait de chercher avec l’intention de découvrir, d’étudier quelque chose ou un lieu.
« Le développement du potentiel d’invention et de création est poursuivi. »BO cycle 3 « ils sont conduits par le professeur à explorer les possibilités créatives » « Poursuivant le travail entrepris en cycle 2, les élèves sont engagés, chaque fois que possible, à explorer les lieux de présentation de leurs productions plastiques » (La représentation plastique et les dispositifs de présentation
L’expérimentation est une méthode scientifique reposant sur l’expérience et l’observation contrôlée pour vérifier des hypothèses.
D’après les définitions, il paraît plus naturel d’être un explorateur qu’un expérimentateur: en effet tous les élèves peuvent-ils émettre des hypothèses ?
Nous voyons que le terme explorer intervient de nombreuses fois:
« Durant le cycle 3, l’enseignement des arts plastiques s’appuie sur l’expérience, les connaissances et les compétences travaillées au cycle 2 pour engager progressivement les élèves dans une pratique sensible
Que faut-il privilégier dans nos cours ? Le côté chercheur ou celui de la vérification des hypothèses ?
« Les trois questions au programme sont abordées chaque année du cycle ; travaillées isolément ou mises en relation, elles permettent de structurer les apprentissages. Elles sont explorées à partir de notions récurrentes (forme, espace, lumière, couleur, matière, corps, support, outil, temps), en mobilisant des pratiques bidimensionnelles (dessin, peinture, collage…) »BO
– La mise en regard et en espace :
l’exploration des présentations des productions plastiques et des œuvres. Exploration des divers modalités et lieux de présentation de sa production et de l’œuvre ; rôle du rapport d’échelle.
Enfin arrive une expérimentation: L’espace en trois dimensions : découverte et expérimentation du travail en volume.
Pourquoi le travail en volume serait-il de l’ordre de l’expérimentation et le reste de l’exploration ?
Mais on poursuit et on peut lire :
Exploration des conditions du déploiement de volumes dans l’espace. L’espace s’explore donc aussi !
La matérialité de la production plastique et la sensibilité aux constituants de l’œuvre.
Expérience, observation et interprétation du rôle de la matière dans une pratique plastique.
Mais on revient à l’exploration avec les matériaux:
« Exploration des qualités physiques des matériaux, des médiums et des supports »
On expérimente alors la matière et on explore les matériaux ?
Ce programme est très flou en ce qui concerne ces deux termes qui définissent des postures bien particulières.
2. Analyse du cycle 4 :
Le cycle 4 commence donc par cette phrase: « Privilégiant la démarche exploratoire, l’enseignement des arts plastiques fait constamment interagir action et réflexion sur les questions que posent les processus de création »
N’est-ce pas déroutant ? En effet l’exploration n’est-elle pas plus simple d’accès que l’expérimentation où il faut émettre des hypothèses donc avoir les outils conceptuels, logiques et pratiques pour pouvoir le faire ?
Poursuivons:
« Les élèves explorent la pluralité des démarches et la diversité des œuvres à partir de quatre grands champs de pratiques »
-Expérimenter, produire, créer
« Explorer l’ensemble des champs de la pratique plastique et leurs hybridations »
-La matérialité de l’œuvre ; l’objet et l’œuvre
« en faisant de la matérialité une question à explorer, »
Donc, on expérimente la matière et on explore les matériaux et la matérialité s’explore. Franchement, comment voir clair dans toute cette confusion ?
-L’œuvre, l’espace, l’auteur, le spectateur:
« l’exploration des présentations des productions plastiques et des œuvres » mais plus loin : « L’expérience sensible de l’espace de l’œuvre » « Expérimentation et constat des effets plastiques et sémantiques de la présence du corps de l’auteur dans l’œuvre »
3. Comment trouver une réponse à cette question: faut-il expérimenter ou explorer ?
Si nous n’arrivons pas à être clairs avec nous mêmes, comment les élèves pourront-ils le faire ? Seul l’espace s’expérimente-t-il ? C’est ce qui apparaît quand on met en relation ce qui doit être expérimenté dans les programmes.
4. Vers une définition scientifique d’explorer et d’expérimenter:
Explorer :Du latin explorare (« observer, examiner, explorer »). Parcourir en examinant, en cherchant à découvrir. Lat. explorare, explorer. D’après Pott, plorare serait ici le même que plorare, pleurer, viendrait du radical sanscrit plu, couler, et aurait pris le sens de aller, et, avec ex, aller au loin. On voit que la vue est un paramètre important : explorer serait de l’ordre de la découverte par la vue d’un phénomène nouveau.
Expérimenter: Vérifier par des expériences, apprendre par expérience. Éprouver par expérience. On ne peut se rendre compte de cela sans l’avoir expérimenté.
« Observer, c’est constater des faits qu’on ne modifie pas ou qu’on ne peut modifier. L’astronomie est le théâtre de l’observation. Expérimenter, c’est modifier les conditions des phénomènes pour reconnaître comment ils se passent. Cette différence, aujourd’hui si précise entre l’observation simple et l’observation préparée, n’était aperçue ni au XVIe siècle ni par Descartes. » Littré
Ainsi l’exploration serait beaucoup plus « passive » que l’expérimentation, plus dynamique, puisqu’il n’y a pas de modification dans l’exploration.
Pour ma part, je suis désemparée de voir comment de jeunes enseignants vont pouvoir distinguer les deux termes avec les postures qu’ils engendrent, le comprenant pas moi même après vingt ans de métier. Mais les rédacteurs de ces programmes ont-ils une vision bien précise de ces deux modes d’action ? Pourrait-on avoir un langage clair, simple et précis pour le confort de nos élèves ?
